Quand on fréquente trop les réseaux sociaux, particulièrement pendant des heures de pointe intenses comme celles suscitées par la controverse entourant l'invitation de Bertrand Cantat par Wajdi Mouawad au TNM, on doute de la révolution 2.0. On se rappelle que c'est dans le silence, et non dans le vacarme, qu'on peut réfléchir. Effrayé, on pense même à cette célèbre phrase de la Bible «Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux», la réponse d'un homme possédé par trop de voix à Jésus, qui lui demande de se définir.

Pour penser, il faut sortir de soi la multitude. C'est tout le contraire qui se produit quand on réagit à chaud sur les réseaux sociaux, là où sévit la fureur de l'opinion, qui n'a que faire de la vérité, puisque tout est une question d'épiderme, d'ego et de rapidité - on se lasse si vite de tous les sujets. Ce n'est pas sans une certaine nausée qu'on émerge de ce cloaque, où le pire et le meilleur finissent par s'annuler, et un dégoût de soi d'y avoir trempé. On croyait participer à un débat, on n'a fait que nourrir la bête.

Alors on s'ennuie de la compagnie des livres. D'un dialogue à deux et non à mille, où il est possible d'avancer dans la réflexion plutôt que de sombrer dans la confusion. C'est cela, le rapport entre un lecteur et un auteur, entre un spectateur et une pièce, entre un cinéphile et un film, entre un mélomane et une musique. C'est cela qu'offre l'art: sortir du chaos.

«Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos, dans une chambre», disait Blaise Pascal. Ce cher Blaise ne se doutait pas que dans chaque chambre, il y aurait un jour un ordinateur branché 24 heures sur 24 sur le monde bruyant. Il ne suffit plus de fermer la porte, il faut aussi fermer les appareils, qui deviennent parfois les traîtres de notre intimité, les parasites de notre pensée.

Il faut aussi faire confiance à ceux qui savent se taire, une qualité presque surhumaine de nos jours, où le silence est une denrée plus rare que l'or. Les vrais écrivains travaillent en silence, c'est pourquoi il faut les fréquenter. Sans la lecture de la correspondance d'Emil Cioran et d'Armel Guerne, qui vient de paraître aux éditions de L'Herne, je pense que j'aurais terminé la semaine dans un désespoir profond, avec pour seul mantra celui de Simone Weil: «La pureté est le pouvoir de contempler la souillure». Rien n'est plus troublant qu'un tribunal populaire, ou une foule qui, forcément, n'a pas de pensée propre.

En juin 68, ces deux misanthropes que sont Guerne et Cioran échangent sur les fièvres estudiantines de mai. «Je conteste la contestation, qui permet à n'importe quel imbécile, avant d'avoir rien fait ni essayé de faire, de se croire un être supérieur, écrit Guerne. Le microbe est lancé, le mal est incurable. C'est un penchant trop naturel de cette malheureuse humanité où, depuis toujours, l'imbécile a proliféré - quoique jamais autant que de nos jours. Bien des gens s'imaginent - et jusque chez de très malins - qu'en se faisant l'adversaire de quelqu'un ou de quelque chose, on se fait aussitôt son égal, au moins, et très probablement son supérieur... Alors qu'absolument, l'adversaire est un parasite. Il y a là-dessous, dans ce jeu des forces, une assez belle définition de la mort.»

La sagesse réside probablement dans la capacité à se taire, et à écouter ceux qui ont quelque chose à dire, plutôt qu'à vouloir parler aux sourds. À commencer par soi...

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