Les palmarès des ventes de livre répugnent les littéraires qui, par nature, veulent être au-dessus des choses bassement matérielles. Ils sont en cela très différents des sportifs, maniaques des chiffres et des statistiques, adorateurs des pools et des paris.

Pourtant, on peut «lire» les palmarès comme des révélateurs du lectorat actuel. J'avoue que je les scrute chaque semaine en râlant comme les amateurs de sports. Pourquoi un tel se hisse au sommet, pourquoi l'autre n'arrive pas à «scorer»?

Ce que les palmarès nous disent, c'est que de tous les gens qui ont franchi les portes d'une librairie pour une période donnée, une majorité a choisi certains titres. Recommandés par les médias, bien sûr - on peut clairement voir l'influence de mon collègue Pierre Foglia et de Tout le monde en parle chaque semaine. Et constater que Foglia et Guy A. n'ont visiblement pas les mêmes goûts de lecture. Par personnes interposées, c'est un combat entre Il y a trop d'images de Bernard Émond et Dans mes yeux à moi de Josélito Michaud.

Mais il y a des livres qui peuvent parfaitement se passer des médias, et plus particulièrement ceux qui font partie d'une série ou d'une saga. Au top des ventes cette semaine, le tome 8 de Mémoires d'un quartier de Louise Tremblay-D'Essiambre. Ce qui veut dire qu'une sacrée bande a lu les sept premiers, quand même ! Voilà ce qu'on peut appeler un fan club. C'est le cas aussi d'Anne Robillard et de Jean M. Auel, qui nagent dans le fantastique et le préhistorique. En les coiffant au poteau, Mme Tremblay-d'Essiambre défend en quelque sorte le réalisme... On déplore souvent qu'au Québec, dont la devise est Je me souviens, on ne s'intéresse pas plus à son histoire. Pourtant, les palmarès contredisent constamment cette idée, tellement les bouquins historiques sont populaires.

Plus que tout, on aime connaître les angoisses intimes de son prochain. Le palmarès des livres pratiques contente toujours notre curiosité à cet effet. Des livres que je ne lis jamais, puisque la réponse est déjà dans le titre - je préfère les livres qui questionnent, plus que ceux qui répondent. Les femmes, la nourriture et Dieu, on devine facilement qu'il surfe sur le succès de Mange, prie, aime. Mon chat chez le psy, par contre, pique la curiosité. Le grand livre du bonheur, Par amour du stress, La voie du chagrin d'amour, voilà trois best-sellers bien appropriés à ce printemps désespérant. Ça veut dire qu'on est triste, fatigué, et sur le point de rompre - vivement le soleil. D'un autre côté, on aime se fouetter, avec Poing à la ligne de Normand Lester, Mafia inc. d'André Cédilot et André Noël ou Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Parce qu'on se demande si L'oligarchie, ça suffit, vive la démocratie (Hervé Kempf) ou si on sera Tous ruinés dans dix ans? (Jacques Attali).

De quoi ranimer le débat sur la madamisation de la culture. Les trois quarts des titres au palmarès sont visiblement des lectures de femmes. Je connais peu de gars qui liraient L'escapade sans retour de Sophie Parent de Mylène Gilbert-Dumas - ça pourrait les inquiéter. Ils devront lire un peu plus pour viriliser les palmarès...

Parlant de débat, j'ai naïvement pensé que celui créé par Wajdi Mouawad allait faire grimper en flèche les pièces de Sophocle. Je suis toujours déçue, il n'y a jamais dans les palmarès une renaissance inattendue, comme pour les has-been en musique qui redeviennent subitement cool. Devrait-on appliquer la formule des reprises des grands succès musicaux à la littérature? Si ça marche pour Sylvain Cossette...