Si Proust s'est longtemps couché de bonne heure, de mon côté, longtemps je n'ai lu que des écrivains morts. Le seul fait d'exister dans le même espace-temps que le mien était pratiquement une faute de goût que je reprochais aux écrivains contemporains, les soupçonnant du même coup de tous les travers de la modernité dont je voulais me libérer. En gros, mon choix portait surtout sur les écrivains qui avaient écrit avant l'invention de la télévision. Snobisme? Non. Il y avait tant à lire, autant commencer par les incontournables. Mais il y avait forcément aussi une forme de misanthropie. Aucun risque que mes écrivains morts ne me déçoivent en étant humains, trop humains. Je n'avais d'eux que le meilleur: leurs livres.

J'ai donc passé ma jeunesse à ne lire que des classiques, parfaitement imperméable aux modes, insensible aux palmarès, ignorante de l'actualité littéraire. Jusqu'à ce que j'entame une carrière de journaliste il y a une douzaine d'années. Ce fut l'entrée dans un nouveau monde. Difficile au début. Bien au chaud dans mon univers de «grandécrivains» triés sur le volet, je supportais mal d'avoir à me taper des romans insignifiants avant de tomber sur quelque chose de bon. Il m'a fallu du temps pour développer un authentique intérêt pour la «nouveauté» - concept dont je me méfie comme de la peste. Car que peut-on écrire qui n'a pas déjà été écrit, et peut-être en mieux?

La rentrée littéraire est devenue aujourd'hui une grande joie. Je me surprends à scruter avidement les programmes des maisons d'édition, à dresser des listes et des horaires de lectures prioritaires, à m'exciter devant les enveloppes qui arrivent sur mon bureau.

Les écrivains contemporains entretiennent un dialogue avec le passé, et sont, forcément, des passeurs de ce passé. J'ai fini par les aimer justement parce qu'ils étaient des héritiers, et que je retrouvais dans leurs livres des amis communs, ainsi qu'un authentique amour de la littérature qu'ils contribuent à maintenir en vie - parce que la fin de la littérature n'est pas pour demain, n'en déplaise aux Cassandres. Enfin, j'ai fini par croire sincèrement qu'ils me sont indispensables pour mieux comprendre le monde dans lequel on vit, pour nommer et explorer des réalités qui sans cessent se dérobent à notre compréhension, quand elles ne sont pas réduites à des formules creuses. Mes écrivains morts n'ont pas connu la culture de masse, l'internet, les menaces du réchauffement climatique, la chute du mur de Berlin, l'obsession terroriste, la révolution sexuelle, et tant d'autres choses que nous devons affronter tous les jours. Ce n'est pas tant de nouveautés dont nous avons besoin, mais de comprendre, de garder le cap sur les questions essentielles, et surtout de savoir que nous ne sommes pas seuls dans cette galère. Bonne rentrée avec les vivants, et au diable les fossoyeurs de la littérature!

Citation

«Il ne savait pas comment vivre. Chaque chose nouvelle qu'il rencontrait dans sa vie le poussait dans une direction qui le convainquait totalement de sa justesse, et puis la chose suivante apparaissait et le poussait dans la direction opposée, qui lui semblait tout aussi juste. Il n'y avait pas de récit dominant: il avait l'impression d'être une boule de flipper uniquement réactive, dont le seul objet était de rester en mouvement simplement pour rester en mouvement.»

-Freedom, Jonathan Franzen, page 411.

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Le numéro spécial sur la rentrée littéraire des Inrockuptibles, la bible parisienne des branchés, est une lecture obligatoire pour savoir quels écrivains feront la manchette en France cet automne. En transformant Britney Spears en «égérie littéraire» dans Le ravissement de Britney Spears, Jean Rolin a obtenu la couverture. Typique des Inrocks.