Il y a quelques semaines, quelqu'un sur Facebook a demandé à ses amis de lui suggérer des titres de romans «littéraires» qui abordent la question du bonheur - impossible de retrouver le nom de ce demandeur dans la multitude... En fait, ce que sous-entendait cette demande était de savoir s'il est possible pour un écrivain de parler du bonheur sans tomber dans le gnan-gnan ou les leçons de vie à la sauce psycho-pop. Bref, existe-t-il de grands écrivains et de grands romans du bonheur?

Cette question était au fond une vraie colle, car tout le monde semblait bien embêté de trouver un titre. Assez révélateur, tout de même. Remarquez, ça fait un bout de temps qu'on évalue la profondeur d'un livre à la profondeur de son sujet - un sujet profond se trouvant idéalement au fond d'un gouffre.

De nos jours, on aime son écrivain souffrant, cynique, blasé, nostalgique ou mélancolique. S'il est trop heureux, c'est louche. Il ne peut pas être sérieux. S'il est riche, c'est encore pire -les dernières données du ministère de la Culture nous apprennent que le revenu annuel moyen des écrivains québécois est de 2450$. Trop heureux, trop confiant en l'amour, la bonté ou la noblesse dans ce monde de merde, un écrivain subirait le même sort que le pauvre Don Quichotte, le dernier des héros romanesques, qui a ouvert la voie à notre époque haineuse des naïfs. Et, bien sûr, personne ne se croit naïf, comme personne ne doute de son bon goût.

Aussi est-il amusant de lire dans le dernier roman de Charles Dantzig, Dans un avion pour Caracas, cette phrase: «Quand j'y pense, je suis stupéfait de la méchanceté des romans. La plupart, c'est pour raconter bassesses, assouvir vengeances. Qu'est-ce qu'ils ont, les romanciers, à haïr la vie?» Dantzig doit s'y connaître, puisqu'il est éditeur chez Grasset.

La question mérite d'être posée. Les romanciers haïssent-ils vraiment la vie? Le simple fait d'écrire est peut-être un aveu de défaite, à savoir que la réalité doit être recomposée. Si, en plus, c'est une souffrance qui fait écrire, cela peut renforcer par accumulation cette image de l'écrivain forcément malheureux. Car il se peut très bien que les romanciers aiment en général la vie, sauf quand ils écrivent. Un peu comme on couche sur papier dans son journal intime toutes ses angoisses, ses frustrations et ses tristesses, mais qu'on n'a pas envie d'écrire quand ça va bien. Les gens heureux n'ont pas d'histoires, n'est-ce pas la formule? Il y a fort à parier que la plupart des journaux intimes donnent une image déformée de leurs auteurs qui prennent la plume uniquement en temps de crise pour se soulager.

Enfin, le bonheur est-il vraiment un sujet? N'est-ce pas qu'un mot? De toute façon, le bonheur du lecteur ne se trouve jamais dans un sujet, mais dans la lecture. Peu importe de quoi il est question, le lecteur exulte par le style et les mots, et peut ainsi très bien prendre son pied dans les romans les plus tristes comme les plus drôles. Le lecteur n'est heureux que lorsque c'est bien écrit et sa compassion est limitée par ses exigences. Plus les écrivains malheureux lui fourniront de bons livres, plus son bonheur sera grand. C'est méchant, un lecteur.

Petit trésor

Trouvé au dernier Salon du livre ancien qui se tenait à Concordia le week-end dernier: La Chasse-Galerie et autres légendes de Honoré Beaugrand, édition 1900. À l'intérieur, cette dédicace de l'auteur: «À mon vieil ami le statuaire Hébert, en souvenir de bons sentiments de camaraderie d'aujourd'hui et d'autrefois.» Et ça commence comme vous le savez: «Pour lors que je vais vous raconter une rodeuse d'histoire, dans le fin fil.» Ô joie!