Cette semaine au Téléjournal, Hubert Reeves nous a annoncé, une fois de plus, que l'humanité pourrait bien disparaître d'ici un siècle. Qu'est-ce qu'on fait après une telle affirmation? On se roule en boule dans son lit ou on zappe vers The Price is Right?

En entrevue à La Presse, Maxime-Olivier Moutier, auteur de La gestion des produits qui aborde en gros notre «mal-être» occidental, confiait qu'il connaît de plus en plus de gens devenus incapables de regarder les nouvelles. Il se montrait d'ailleurs très critique envers la propension au pire des médias, dans leur surenchère de nouvelles dramatique, de résumés sanglants et de scoops choquants. Pour Moutier, l'effet n'est rien de moins que dévastateur sur nos esprits. On croit s'informer, on «veut» s'informer, mais on ne fait que se torturer, au bout du compte. Quelle est l'utilité et quelles sont les conséquences d'une forte dose quotidienne de tragédies et de scandales? Le sentiment d'impuissance qui en résulte ne serait-il pas à l'origine de la paralysie collective?

Pour Régis Debray, qui vient de publier un sublime petit livre, Du bon usage des catastrophes, cela fait carrément partie de notre culture, et «tous les désespoirs nous sont encore permis», en raison de ce «tréfonds religieux d'une civilisation qui nous roule tous dans ses plis à la naissance, croyants et agnostiques mêlés». Car la «catastrophilie» touche tout autant les laïques, c'est évident. «La tonalité apocalyptique n'a pas disparu avec le soc des charrues, le doublement de l'espérance de vie, la péridurale, les mégapoles, Internet et le monokini, écrit-il. Les stades de l'évolution technique se succèdent en séquence, le drame cosmique se monte en boucle.»

En effet, la chute de l'URSS entraînant avec elle notre obsession de la guerre nucléaire, n'a pas fait disparaître nos envies de terreur, les écologistes ayant repris le flambeau de formidable manière, en dignes héritiers des prophètes. Et, rappelle Debray, «quiconque communique à un public encore mal informé une nouvelle importante devient lui-même important».

Selon Debray, nous sommes des «malades du sens», des «sémiopathes», et les discours catastrophiques provoquent en nous un sentiment proche de l'ivresse, d'où leur immense popularité chez les commentateurs. Pensons qu'au Québec seulement, on nous annonce régulièrement la disparition du français, de la nation, de la culture, de l'environnement, de la démocratie, de la classe moyenne, bref, la disparition d'à peu près tout, si bien qu'on finit par désirer un cataclysme assez gros pour nous soulager une fois pour toutes de nos agonies à répétition.

Ce qui explique aussi pourquoi personne n'a eu envie de célébrer la récente venue du sept milliardième être humain sur Terre, à qui on n'a pas osé dire qu'il était de trop, moins ému que nous sommes par son sort que par le symbole de la surpopulation menaçante qu'il représente. Pauvre enfant, à qui tous les désespoirs seront permis...