Lorsqu'il est question du débat entre la fiction et ce que l'on nomme l'autofiction, on a envie de répondre cette célèbre phrase d'Oscar Wilde: «L'appellation de livre moral ou immoral ne répond à rien. Un livre est bien écrit ou mal écrit, et c'est tout.»

S'il y a débat, c'est plutôt parce qu'il y a concurrence. Beaucoup d'écrivains se plaignent de cette «dictature du réel» qui contamine les lettres contemporaines, comme si, lorsque le roman se base sur une «histoire vraie», il devenait plus noble et plus intéressant, et qu'à l'opposé, les histoires inventées n'étaient que distraction et divertissement. Il n'y a pas que les écrivains qui se plaignent. Tout récemment, le collègue Foglia a écrit: «Et si, comme bien d'autres, je commençais à en avoir plein le cul du roman-vérité?»

Dominique Fortier, qui nous a donné de très belles fictions avec Du bon usage des étoiles et Les larmes de saint Laurent, a écrit à ce sujet un texte éclairant dans le collectif La pratique du roman, où elle change les termes. Elle y parle des romans «du dedans» et des romans «du dehors», sans vouloir faire une hiérarchie entre les deux mais on sent quand même un peu son exaspération: «Le roman demeure un discours inventé dans la mesure où il ne vise pas à dépeindre un monde existant mais d'abord à créer un univers autre, aussi cohérent, qui puisse pour un temps se substituer au premier en remportant aussi fortement l'adhésion. Ce faisant, il devient aussi discours vrai, ou juste, et il doit à l'invention, ou à l'imagination, les égards qu'on réserve habituellement à la vérité.»

C'est à ce texte de Dominique Fortier que je pensais lorsque j'ai connu une sorte d'extase en lisant récemment les nouvelles de Le Clézio (Histoire du pied et autres fantaisies, Gallimard). J'ai beaucoup lu dans le rayon de l'autofiction depuis des années, par goût personnel, dans une sorte de prolongement de mon amour des mémorialistes du XVIIIe siècle. Peut-être aussi par dégoût momentané de la fiction à certains moments. Tout lecteur connaît un jour ou l'autre sa surdose de romans, et j'en connais plusieurs qui, encore en gueule de bois, ne lisent plus que des livres d'histoire et des essais.

Mais on a beau se dire que les mystères de l'âme humaine sont infinis, on en arrive à un sentiment d'étouffement à force d'être constamment dans la tête et l'intimité d'un seul narrateur, il faut l'avouer. Après tout, si nous lisons pour sortir de nous-mêmes, est-ce pour aller s'enfermer dans la tête de quelqu'un d'autre?

C'est pourquoi sûrement les nouvelles de Le Clézio m'ont fait tant de bien. À un point tel que j'en étais étonnée, découvrant tout à coup une fatigue insoupçonnée des romans «du dedans». Dominique Fortier a une réponse qui pourrait expliquer cette fatigue: «On a parfois l'impression, en lisant un roman contemporain, de se trouver face à l'un de ces calendriers dont toutes les petites portes auraient été ouvertes, et la moitié des friandises englouties. Le lecteur y est inutile, pour ne pas dire superflu: l'interprétation du plus petit geste, de la moindre parole des personnages est étalée au grand jour, de même que les «enjeux» sous-jacents, les élans qui les motivent, etc. Ce que l'auteur a couché sur la page, c'est ce que son texte doit évoquer dans l'esprit du lecteur: or, s'il entend l'«évoquer», il ne peut le lui livrer sans fard. Il le prive du coup du plaisir unique, essentiel de la lecture, qui est de participer activement à la construction du sens de l'oeuvre.»

Ce serait donc cela le problème? Le «je» prend tellement de place qu'il n'en laisse plus pour le lecteur? Dans ce cas, ça veut dire qu'il est temps d'aller dehors et de partir à l'aventure.

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