«Alabama, vous êtes en ondes.»

Larry King ne prononcera plus sa célèbre phrase dans la portion «tribune téléphonique» de ses grandes entrevues sur CNN. Le vétéran animateur à lunettes - et aux larges épaulettes - accroche ses bretelles : à la rentrée, son émission quotidienne Larry King Live, qui jouait tous les soirs à 21 h pendant 60 minutes, basculera dans le noir comme les t-shirts d'Anderson Cooper.

Cette légende du petit écran, qui soufflera 77 bougies sur son gâteau en novembre, venait pourtant de fêter en grand les 25 ans de son talk-show vedette, en ondes depuis 1985, et son contrat avec CNN n'expirait pas avant juin 2011. Que s'est-il magouillé dans les corridors du réseau propriété de Time Warner pour que Larry King éteigne son micro aussi rapidement ?

Évidemment, l'intervieweur chevronné prétend que cette décision a été prise «d'un commun accord» avec la direction, une formule creuse qui camoufle très mal la vérité de ce départ ultra médiatisé. Dans les faits, CNN chamboule complètement son bloc de soirée, qui en arrache solidement dans les sondages Nielsen.

Avec son style d'animation rétro, voire suranné, Larry King se classe au troisième rang des chaînes d'infos en continu derrière ses rivaux Sean Hannity, de Fox News, et Rachel Maddow, de MSNBC. Certains soirs, King est aussi mis en échec par l'humoriste Joy Behar (The View) qui pilote un talk-show sur HLN (Headline News), une chaîne dérivée de CNN dont la portée est beaucoup moindre.

Comme le relevait avec justesse le New York Times, Larry King était l'un des derniers visages de la télé câblée non partisane, où le téléspectateur se fichait complètement des opinions de ses chefs d'antenne, pourvu qu'ils cuisinaient habilement leurs invités. Cette époque n'existe plus.

Aujourd'hui, des antennes comme Fox News et MSNBC carburent aux prises de positions claires et tranchées, à la gauche qui frappe sur la droite, à la droite qui cogne sur la gauche, aux commentaires éditoriaux grinçants et à l'affichage en néon des couleurs politiques. Pas étonnant que Quebecor piaffe de mettre en ondes Sun TV News, une station anglophone campée à droite sur l'échiquier et dont le mandat serait des nouvelles le jour et des opinions le soir. À la barre de leurs émissions respectives, Sean Hannity et Rachel Maddow ne cachent jamais leurs penchants idéologiques, au contraire, ils les propulsent souvent à l'avant-plan : lui est conservateur et elle, libérale. C'est à prendre ou à laisser. Règle générale, si l'on se fie aux grands sondages d'écoute, les téléspectateurs aiment bien connaître à quelle enseigne logent leurs animateurs.

De son côté, CNN a toujours privilégié une approche journalistique neutre et c'est ce qui, malheureusement, coule le réseau à l'heure actuelle. À côté des envolées spectaculaires de Sean Hannity sur Fox News, Larry King, calme et posé, limite éteint, paraît bien tiède avec ses questions bonbons du genre : que mangez-vous pour déjeuner ?

La neutralité légendaire de CNN craquera-t-elle sous la pression des cotes d'écoute? C'est ce que craignent ses employés, révèle la presse spécialisée. Dans la case de 20h l'automne prochain, vous ne verrez plus la journaliste Campbell Brown (No Bias, No Bull), qui a démissionné au printemps, mais bien un tandem formé par l'ex-gouverneur démocrate de l'État de New York, Eliot Spitzer, et Kathleen Parker, une columnist conservatrice du Washington Post. Eliot Spitzer, qui a été mêlé à un scandale de prostitution, et Kathleen Parker, lauréate d'un prix Pulitzer, confronteront leurs opinions dans une émission de style Crossfire. Encore des débats, donc.

Si Campbell Brown a claqué la porte de son studio, c'est qu'elle ne désirait pas se métamorphoser en grande gueule comme ses adversaires Bill O'Reilly (Fox News), Nancy Grace (HLN) ou Keith Olbermann (MSNBC) afin de récolter de meilleurs scores d'audience. Bravo pour l'intégrité.

Confession pour confession, je me branche souvent sur Larry King pour examiner sa façon très vintage d'aborder la télévision. On s'entend : ce n'est pas la figure la plus dynamique du petit écran et ses entretiens manquent parfois de punch, mais il se dégage quelque chose de rassurant dans cette heure de télé, où personne ne gueule après personne.

Récemment, Larry King a reçu, dans la même semaine, Lady Gaga, Barack Obama, le basketteur LeBron James et Bill Gates, nous offrant des moments de télé surréalistes. Voilà pourquoi on regarde Larry King : parce qu'il réussit toujours à arracher des confidences exclusives aux personnalités défrayant les manchettes. C'est d'ailleurs pendant l'émission Larry King Live que Céline Dion a lâché sa phrase célèbre : «Take a kayak!»

Bien sûr, il faut des Anderson Cooper pour brasser la cage, mais il existe un gros danger à écarter des ondes tous les vieux sages comme King qui sont de véritables encyclopédies vivantes.

Les noms de Katie Couric, ancienne du Today Show maintenant à CBS, et Ryan Seacrest, animateur d'American Idol, circulent pour une éventuelle succession. C'est toutefois le Britannique Piers Morgan, juge à America's Got Talent, qui détiendrait une longueur d'avance pour s'asseoir dans le fauteuil vide de King.

Quant au chef d'antenne démissionnaire, il a déclaré vouloir passer plus de temps avec sa septième femme (vous avez bien lu : septième femme) Shawn Southwick, 41 ans, et leurs deux enfants, âgés de 11 et 10 ans.

Et Larry King ne s'éclipsera pas complètement de CNN, où il chauffera quelques projets spéciaux à l'automne. Qui sait, peut-être entendrons-nous encore «Dakota du Sud, on vous écoute»!

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