Il joue dans le dernier clip de Lady Gaga, Born This Way, et défile pour Thierry Mugler à Paris. On pourrait croire que le Montréalais Rick Genest, 25 ans, alias Zombie Boy, mène la vie des gens riches et célèbres. C'est faux. Rico - c'est son surnom - a longtemps vécu dans des squats et fait du squeegee dans les rues de Montréal pour survivre. Comment ce jeune homme ultra-tatoué ayant grandi à Châteauguay a-t-il pu accéder si rapidement au gotha de la pop culture?

Examinez bien la photo de Rick Genest qui accompagne cet article. Non, il ne s'agit pas de maquillage sophistiqué de cinéma ou de peinture temporaire qui décore son corps mince et athlétique. Ce sont des tatouages macabres, de vrais tatouages, indélébiles, ineffaçables, qui tapissent pratiquement toute la peau de ce jeune Montréalais de 25 ans, qui se surnomme lui-même Zombie Boy.

Zombie, parce que Rick Genest se transforme, à l'aide de tous ces dessins permanents, en mort-vivant, sorte de créature répugnante coincée entre deux mondes qui se décompose et pourrit sous nos yeux.

Lundi matin, Rick «Rico» Genest, qui a grandi à Châteauguay, a été catapulté dans le star-système mondial en apparaissant dans le tout nouveau vidéoclip de Lady Gaga, Born This Way. Dans la vidéo, vue plus de huit millions de fois sur YouTube, Miss Gaga arbore du maquillage reproduisant exactement le visage terrifiant de Zombie Boy. La popstar, qui porte de faux implants faciaux comme l'artiste-plasticienne française Orlan, se trémousse longuement aux côtés de Rico, le serre dans ses bras, rendant ainsi hommage à son «originalité».

À la mi-janvier, Rick Genest a défilé pour Thierry Mugler lors de la prestigieuse semaine de mode masculine de Paris. Mercredi, il a de nouveau foulé la passerelle, cette fois pour la collection féminine de Mugler, toujours flanqué de Lady Gaga.

Pourtant, Rick «Zombie Boy» Genest n'est ni mannequin ni acteur. C'est un punk de rue. Un bum du 514 qui effraie les passants avec son faciès, comment dire, digne d'un film d'épouvante de George A. Romero.

Vous avez peut-être déjà croisé ce Rico, squeegee en main, près du parc Viger ou sous le pont Jacques-Cartier. Car depuis plusieurs années, Rick Genest quête des huards et des caribous pour survivre et payer son tatoueur de la rue Ontario Est.

Alors, comment a-t-il pu, en l'espace de deux mois, quitter les squats miteux de Saint-Henri ou de l'est de la ville pour graviter dans l'entourage ultra glam et inaccessible de Miss Gaga?

Très simple et très 2.0 comme histoire. C'est Nicola Formichetti, 33 ans, styliste de Lady Gaga et nouveau directeur de création de la griffe Thierry Mugler, qui a repéré Rick Genest sur Facebook, où il publiait des photos ensanglantées et très morbides de son corps recouvert de tatouages de squelette.

La robe cousue avec des morceaux de viande que Lady Gaga a paradée au gala des MTV Video Music Awards en septembre dernier, c'est une trouvaille de Nicola Formichetti. Pas étonnant qu'il ait flashé sur le côté bizarre et glauque de Zombie Boy. «Rico est ma muse», a-t-il déclaré au New York Times.

Mystérieux personnage

Après avoir remué Twitter et terre, j'ai été incapable de décrocher une interview avec Rick Genest, qui a passé la semaine à Paris avec sa nouvelle amie Lady Gaga. D'abord, il n'a ni téléphone, ni courriel, ni adresse fixe. Ses parents, qui habitent toujours à Châteauguay, refusent catégoriquement de parler de leur fils sans son autorisation. «On est un peu fiers, mais on ne veut pas dire des choses qui pourraient le rendre mal à l'aise», chuchote sa mère, Catheryne Chappelle, avant de raccrocher.

Son père, Roch Genest, n'a donné suite à aucun courriel ni message Facebook. À son école secondaire, la Howard S. Billings Regional High School, rue McLeod, à Châteauguay, personne n'a pu indiquer si Rick Genest avait décroché un diplôme (ou pas). Et une de ses bonnes amies du secondaire que j'ai jointe a respecté la même consigne: on ne jase pas tant que Rick n'accorde pas sa bénédiction.

À l'été 2010, Rick Genest a été embauché par la troupe de Carnivale Lune Bleue, un spectacle sur les arts forains étranges, pour jouer - quelle surprise - le rôle du freak de service. Encore ici, personne n'a conservé de trace de lui. Après trois semaines de représentations à Bromont, le chapiteau de Carnivale Lune Bleue a été démonté, faute d'achalandage.

Qui est donc ce mystérieux Rick Genest, qui s'exprime mieux en anglais qu'en français? Les infos officielles sur lui se dénichent difficilement. En grattant à gauche et à droite, on découvre que son parcours est loin d'être rose bonbon, mais plutôt noir corbeau comme toute l'encre qu'il s'est fait injecter partout, partout, sauf sur les jambes.

«C'est un gars de la rue, un fugueur. Sa vie à la maison était intolérable. Physiquement, il doit mesurer 5'9'', il a de grands yeux et un beau sourire. Les filles l'aiment. Et il fascine les gens», raconte le photographe londonien Neville Elder, qui a immortalisé Rick Genest au printemps 2008 pour le magazine britannique Bizarre, spécialisé dans les modifications corporelles.

Si Rick Genest a accepté que Neville Elder le talonne pendant toute une journée à Montréal, c'est qu'il a été payé. «Il vivait dans un squat et la nuit, il collait des pubs sur le côté des autobus pour gagner un peu d'argent», se souvient Neville Elder, 41 ans, qui habite New York depuis 10 ans.

Selon ce qu'il a confié à l'équipe de l'agence montréalaise de marketing Tuxedo, qui l'a repêché dans la rue à l'été 2010 pour une session de photos, Rick Genest aurait plutôt été mis à la porte par sa famille. «Il était super gentil. Il a beaucoup de charisme», se remémore le directeur général de Tuxedo, Dominic Tremblay.

Un zombie poli, tranquille, un brin antisocial

Le responsable du look zombie de Rick Genest, c'est Frank Lewis, 47 ans, copropriétaire de la boutique de tatouages Derm FX de la rue Ontario Est, angle Papineau.

«La première fois que je l'ai vu, il n'avait que des os tatoués sur les mains. J'ai rajouté du noir et des fils d'araignée autour. Il a trippé. Il a voulu que je fasse son visage. J'ai refusé. Je ne tatoue jamais un visage vierge. Je le fais si la personne a déjà un dessin à corriger. Rick est revenu me voir deux semaines plus tard avec les deux yeux beurrés et le nez tatoué en noir. Il m'a demandé de lui arranger ça», raconte Frank Lewis, artiste-tatoueur depuis une dizaine d'années.

Amorcée à 16 ans, la lente zombification du marginal Rico, à coups de 100$ l'heure, s'est poursuivie centimètre carré par centimètre carré. Le tout aurait coûté près de 15 000$. «Il voulait que sa cervelle soit exposée. Je lui ai fait tous ses tatouages des hanches jusqu'au top de la tête», note Frank Lewis, qui décrit Rick Genest comme un petit punk poli, un squeegee tranquille, un brin antisocial.

«Rick trippe sur les films d'horreur. Quand il était plus jeune, il a eu une tumeur au cerveau. Il s'en allait mourir sur la table d'opération, mais il n'a finalement eu aucune séquelle. Depuis ce temps, il dit qu'il se sent mort», complète Frank Lewis.

Sur sa page Facebook personnelle, Rick Genest fait part d'intérêts personnels très variés, qui oscillent entre le cinéma Dollar, le café Chaos de la rue Saint-Denis, le groupe de musique Slaughter Slashing, des mouvements contre la brutalité policière et les combats de la Ultimate Fighting Championship (UFC).

Évidemment, tout le monde se pose la question à 1000$: quelle personne saine d'esprit accepterait de s'enlaidir de la sorte? Après cette métamorphose, impossible de se dégoter un boulot dit normal.

Et est-ce de l'art corporel ou l'expression malsaine d'un jeune homme perdu, mal dans sa peau et tourmenté? Parce que, contrairement à ce que chante Lady Gaga, Rick Genest n'est pas né comme ça. Il l'est devenu.