Fait: Vidéotron n'offre pas l'iPhone aux abonnés de son service de téléphonie cellulaire. Raison: la bande de fréquence AWS choisie par la compagnie de Quebecor ne fonctionne pas avec le joli appareil métallique commercialisé par Apple. Un peu comme T-Mobile aux États-Unis avant d'être racheté récemment par AT&T, Vidéotron a plutôt misé sur le système d'exploitation Android de Google et son téléphone vedette, le Nexus One de HTC.

Était-ce le bon choix de technologie? Peut-être pas. L'engouement pour l'iPhone ne faiblit pas et le bidule a quasiment atteint le statut d'objet culte. Une folie collective qui déplaît sans doute à Quebecor, car les montagnes de dollars des fans loyaux et dévoués d'Apple lui échappent.

Conséquence? Selon les informations récoltées par La Presse, l'iPhone serait bientôt menacé de disparition chez TVA. Depuis quelques semaines, la chaîne numéro un au Québec sonde les producteurs indépendants qui lui fournissent des séries de fiction: vos personnages placotent-ils régulièrement au iPhone? Combien de temps voit-on ce téléphone noir ou blanc à l'écran? Entend-on les sonneries caractéristiques du iPhone dans les dramatiques?

Vous décodez, comme moi, la logique commerciale qui alimente toutes ces interrogations: pourquoi TVA ploguerait-elle gratuitement l'iPhone alors que la branche maîtresse du groupe Quebecor, Vidéotron, ne peut même pas vous en vendre un? C'est de la convergence inversée. Au lieu de promouvoir un produit associé au groupe, TVA occulte celui des concurrents tels Rogers, Bell ou Telus. L'iPhone, pourtant si répandu dans la société québécoise, tous empires confondus, n'existerait bientôt plus sur les ondes du «vrai réseau».

Anne Boyer, coauteure et coproductrice du Gentleman et de Yamaska, s'est fait suggérer d'éviter d'utiliser l'iPhone, «parce qu'il est trop identifiable». Le problème ne s'est pas posé avec le téléroman Yamaska, puisque personne ne s'y sert du gadget usiné par Apple.

Dans Le gentleman 2, par contre, les personnages campés par David Boutin et Michel Barrette en ont un. «Quand la première saison du Gentleman a été tournée, l'iPhone venait de sortir. Nous l'avons donc utilisé. Et Le gentleman 2 a été tourné l'été dernier. Les personnages ont aussi des iPhone. Mais ça ne m'agace pas que TVA s'informe. Je ne connais pas beaucoup de séries à Radio-Canada qui mettraient un Journal de Montréal sur la table ou un terminal Illico dans le salon. Les ententes commerciales, ça bouge rapidement et moi, je ne me tiens pas trop au courant de ça», explique Anne Boyer.

Le producteur de Destinées, André Dupuy, de chez Pixcom, a aussi été interrogé à propos de la présence du iPhone dans son téléroman. «Je sens que c'est par rapport aux autres téléphones offerts par Vidéotron. Là, on parle de TVA, mais c'est aussi vrai pour tous les autres réseaux. Pourquoi entrer en conflit avec un commanditaire? Je ne ferais pas exprès pour mettre La Presse en gros format dans mon émission», note-t-il.

Pour André Dupuy, tant que les exigences commerciales de TVA ne nuisent pas à la qualité des intrigues de Destinées, il ne s'en offusquera pas. «Mais je ne serais pas étonné qu'une directive plus claire nous arrive à propos du iPhone», ajoute le producteur. Aucun fournisseur de téléphonie cellulaire ne commandite Destinées et Le gentleman, soit dit en passant.

De son côté, André Monette, producteur de La promesse pour Point de mire, rappelle que ses comédiens utilisent, pour la majorité, leurs propres téléphones portables pendant les tournages. Et oui, comme dans la vraie vie, plusieurs possèdent des appareils iPhone. «Si TVA nous demande d'utiliser une autre marque, je vais leur demander de m'en fournir. Comme la plupart des gens d'aujourd'hui, les personnages de La promesse ont des téléphones cellulaires. Ce n'est pas un placement de produit», glisse-t-il.

La productrice de Lance et compte: La déchirure, Caroline Héroux, de Gaëa Films, a aussi reçu l'appel de prévention iPhone de la part de TVA. «Ils n'en ont pas fait tout un cas. Comme Vidéotron commandite la série, ils m'ont demandé de mettre leurs téléphones à l'avant-plan et ils nous ont fourni des téléphones comme le Nexus One. Certains personnages vont en avoir», résume-t-elle.

Caroline Héroux avait cependant vu venir le coup. Comme le tournage de Lance et compte a débuté l'été dernier, quelques mois avant que Vidéotron ne lance son réseau sans fil, elle s'est assurée que TVA ne s'opposerait pas à ce que les personnages campés par Jason Roy Léveillée et Bianca Gervais pianotent sur un iPhone. «La technologie est très importante dans Lance et compte: La déchirure. La journaliste jouée par Bianca Gervais prend des photos avec son iPhone et envoie des textes», indique Caroline Héroux.

Hier, Vidéotron a redirigé nos questions vers TVA, qui n'a pas fait de commentaires. Aucune réponse, malgré plusieurs tentatives.

Le réseau sans fil de Vidéotron a été activé en septembre 2010 et sa mise en place a coûté près d'un milliard. À l'époque, Robert Dépatie, président et chef de la direction de Vidéotron, a admis que l'iPhone pourrait «aider Vidéotron à augmenter sa croissance». C'est un téléphone que les gens veulent, avait ajouté M. Dépatie.

Les gens veulent peut-être un iPhone. Mais ils ne pourront plus le voir. À TVA du moins.

Photo: Reuters et TVA, photomontage Stéphan Doe, La Presse