La portion la plus croustillante de l'émission Enquête d'hier soir sur l'empire Quebecor a été insérée dans le premier bloc. Se pourrait-il que, pour servir l'intérêt de l'entreprise, des cadres tordent et modifient l'information avant de la publier dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec?

Non, non, non, a vigoureusement nié la directrice des arts et spectacles du Journal de Montréal, Michelle Coudé-Lord, la seule représentante de Quebecor ayant accepté de témoigner à la caméra de Radio-Canada. Puis, le reporter Guy Gendron a déballé des preuves béton qui ont très mal fait paraître Mme Coudé-Lord, dont le visage et le langage corporel ont trahi son malaise.

Cette histoire, racontée par Enquête, remonte à l'automne 2007 alors que les quotidiens de Quebecor planchaient sur un palmarès des personnalités québécoises les plus influentes dans le milieu culturel. Un classement confié à une firme indépendante, soit dit en passant, afin d'éviter biais et favoritisme. Pas de problème jusqu'ici. Le hic? Les résultats soumis par ce comité ont déplu aux patrons de Quebecor.

Dans des courriels obtenus par la SRC, Michelle Coudé-Lord y a déploré l'absence de René Angélil, elle a noté que Julie Snyder est beaucoup plus influente que Marie-France Bazzo, a indiqué que «Michel Tremblay n'est plus du tout influent» et a tranché que John Porter (ex-directeur du Musée national des beaux-arts de Québec), «on s'en fout». Devant autant d'ingérence et de manipulation, la moitié des membres du comité ont tout simplement démissionné, a rapporté Radio-Canada.

Le matin du 15 octobre 2007, Le Journal de Québec et Le Journal de Montréal ont publié deux versions différentes du palmarès controversé. Paul Arcand a été évincé du classement de Montréal (mais pas de celui de Québec, trouvez l'erreur). Et Jacques Aubé, directeur général d'evenko, l'a remplacé à la demande du rédacteur en chef, Dany Doucet, «qui ne voulait pas avoir de problèmes lundi», toujours selon les courriels de Mme Coudé-Lord.

Pourquoi? Parce qu'evenko et le Centre Bell achèteraient beaucoup de pubs dans les journaux de Quebecor, a témoigné l'ancien journaliste David Patry assigné à ce dossier il y a quatre ans. Plusieurs autres changements ont été apportés au palmarès, notamment sur les rangs occupés par Pierre Karl Péladeau et Julie Snyder.

Quand Guy Gendron a montré les courriels incriminants à son auteure, cette dernière a déclaré ne plus se souvenir de rien, comme à l'ancienne commission Gomery. Voilà le genre d'information qui frappe fort. J'en aurais pris davantage.

Le reste de l'émission a brossé un portrait assez juste de l'influence de Quebecor sur la société québécoise, et c'était nécessaire de le faire, mais il manquait des éléments nouveaux pour que cette enquête soit vraiment explosive. En ouverture, on a tout de suite senti que l'animateur Alain Gravel marchait sur des oeufs quand il a parlé de ce «sujet délicat». Normal: Quebecor et Radio-Canada, deux féroces compétiteurs, sont à couteaux tirés depuis des mois, voire des années.

Le long détour par les scandales au News of the World du magnat Rupert Murdoch a alourdi l'émission. La partie sur les promesses non tenues de Quebecor lors de l'achat de Vidéotron, il y a 10 ans, était par contre éclairante. Retrait de ses quotidiens du Conseil de presse, abandon de La Presse Canadienne et levée des cloisons d'étanchéité entre ses salles de rédaction avec la création de l'agence QMI, Pierre Karl Péladeau a peu respecté les engagements pris devant les parlementaires, a relevé le journaliste Guy Gendron, lui-même un ex-employé de TVA.

Et il fait toujours bon de se rappeler que Quebecor Media est detenu à 45% par la Caisse de dépôt et placement du Québec, notre bas de laine collectif.

Chez TVA, notamment à la chaîne Argent, des journalistes se sont également plaints de toujours viser les mêmes cibles, selon Enquête. Là aussi le jupon dépasserait. Aux nouvelles, la mise en place du réseau 3G de Vidéotron a même ouvert le bulletin de TVA, mélangeant information et promotion.

Enquête a aussi rappelé la croisade personnelle de Julie Snyder pour le financement public de la fécondation in vitro, qui a souvent été tapissée dans tous les médias de Quebecor. Même chose pour la saga de l'amphithéâtre de Québec.

Une question, maintenant: de quelle façon Quebecor va-t-il contre-attaquer? L'empire n'a pas l'habitude de se laisser administrer des taloches publiquement.

Tenez, avant même que le reportage d'Enquête ne soit diffusé, le chroniqueur du Journal de Montréal Guy Fournier s'est porté à la défense des Péladeau en attaquant la crédibilité de l'équipe d'Alain Gravel: «Enquête fait rarement dans la dentelle et il arrive souvent, faute de preuves, qu'elle avance sans conclure des hypothèses qui laissent supposer mille choses», a écrit Guy Fournier dans une chronique publiée hier dans les pages culturelles du Journal de Montréal.

À l'approche de l'heure de diffusion de cette émission qui énervait tout le milieu médiatique, Alain Gravel a dû publier une mise au point sur son blogue, où il invitait les gens à se «calmer le pompon».

Son appel au calme a-t-il été entendu? M'est avis que non. Rendez-vous dans un palais de justice près de chez vous pour la suite.