La Coupe du monde est un marathon.

Au moment où vous lirez ces lignes, cela fera 35 jours que j'ai pris l'avion à destination de Johannesburg. Trente-cinq jours à naviguer sans carte ni GPS de Jo'burg au Cap en passant par Pretoria, Rustenburg, Polokwane, Bloemfontein et Durban.

J'ai assisté en personne à une vingtaine de parties. Certaines ont été extraordinaires (la victoire de l'Afrique du Sud sur la France, le match de fous entre la Slovaquie et l'Italie, le duel Ghana-Uruguay en quarts, la demi-finale Espagne-Allemagne et plusieurs autres). D'autres, plus soporifiques qu'un match Canadien-Blue Jackets en novembre (le huitième de finale Japon-Paraguay me vient à l'esprit).

J'ai assisté à des conférences de presse dans des langues que je ne parle pas, fait une crevaison et une panne d'essence au milieu de nulle part et me suis fendu la poire en écoutant l'ineffable Raymond Domenech tenter d'expliquer la descente aux enfers des Bleus. L'équipe de France a été la risée de ce tournoi, qui, de Cristiano Ronaldo à Wayne Rooney en passant par Kaka, n'a pourtant pas manqué de déceptions.

Je me suis promené dans les bidonvilles de Johannesburg. J'ai discuté de soccer avec d'anciens prisonniers de Robben Island. Et j'ai entendu les vuvuzelas bourdonner au point de ne plus les entendre. Il n'y a pas à dire, le cerveau humain est bien fait.

Alors, c'était comment, cette Coupe du monde?

C'était long. Remplacez le Mondial par les Jeux de Vancouver et je serais de retour à Montréal depuis la Saint-Jean-Baptiste. Remplacez-le par les Jeux de Pékin ou le Tour de France? Je serais rentré à la Fête du Canada.

C'était long. Mais court, aussi. Parce que le Mondial est un feu roulant, surtout au cours des premières semaines, quand il y a trois ou quatre matchs par jour. Parce qu'il n'y a pas beaucoup d'affectations aussi enthousiasmantes pour qui aime le sport. Parce que David Villa, Wesley Sneijder et Diego Forlan (mon préféré). Parce que Maradona, même. Pas un grand coach, finalement. Vraisemblablement pas un grand être humain non plus. Mais quel charisme! Quel spectacle!

La Coupe du monde 2010 devait être la carte de visite de l'Afrique du Sud, un exercice de relations publiques pour «Brand South Africa». Un appel au monde pour lui dire: oubliez les statistiques affolantes sur la criminalité et le VIH, il y a ici une démocratie moderne et un peuple d'une grande chaleur, parfaitement capable d'organiser la plus grande fête sportive de la planète.

Mission accomplie? Tout dépend du point de vue. Fiscalement, cette Coupe du monde reste un non-sens. Engloutir plus de 30 milliards de rands (4 milliards de dollars) dans les stades, les autoroutes et les infrastructures de transport n'est pas la dépense la plus judicieuse qu'on puisse imaginer quand des millions de personnes vivent encore dans la misère des bidonvilles. Le tiers des Sud-Africains, faut-il le rappeler, subsistent avec moins de 2$ par jour. Leur bâtir des maisons aurait sûrement été plus... constructif que d'ériger des éléphants blancs dans des villes de province comme Nelspruit ou Polokwane.

Mais dans ce pays où les divisions de classes s'ajoutent aux vieilles lignes de fracture entre Blancs, Noirs, Indiens et métis, le tournoi aura été un indéniable ferment de solidarité nationale. Les pauvres migrants dans leurs cabanes de tôle, autour de Johannesburg, soutenaient les Bafana Bafana autant que les Afrikaners tout de jaune vêtus qui peuplaient le Free State Stadium de Bloemfontein le soir où l'équipe nationale a vaincu la France 2-1.

On craignait que la fièvre retombe avec l'élimination de l'équipe d'Afrique du Sud, tombée dès le premier tour. Elle s'est reportée sur le Ghana. Et elle n'a pas fléchi après que les Black Stars eurent été victimes de la «main de Dieu» (ou serait-ce celle du diable?) tendue par l'Uruguayen Luis Suarez.

Les Sud-Africains sont fiers de ce qu'ils ont accompli. Ils ont raison de l'être. Cette première Coupe du monde en sol africain a été un succès d'organisation, à l'exception du cafouillage à l'aéroport de Durban qui a fait manquer la demi-finale Espagne-Allemagne à plus de 1000 spectateurs. Les histoires d'horreur que prédisaient les médias «afro-pessimistes», notamment en Grande-Bretagne, ne se sont jamais matérialisées.

Plus de 3,1 millions de personnes ont assisté aux matchs dans les 10 stades, le troisième total de l'histoire. Parmi eux se trouvaient des centaines de milliers d'étrangers. Ils ont croisé sur leur chemin une armée de bénévoles dont la gentillesse et la bonne humeur n'avaient rien à envier à celles des Chinois lors des Jeux olympiques de 2008. Pour l'Afrique du Sud, ces spectateurs arrivés des États-Unis, de Grande-Bretagne, du Brésil et d'ailleurs seront autant d'ambassadeurs.

Le grand défi sera de s'assurer que la vague d'énergie positive sur laquelle surfe le pays ne retombe pas, maintenant que le sifflet final a retenti. Il y a lieu d'espérer: les spécialistes qui s'intéressent à l'humeur des populations ont mesuré dans le passé que l'indice de bonheur (ça existe!) du pays hôte d'une Coupe du monde reste significativement plus élevé qu'à l'habitude pendant plusieurs mois, voire quelques années après le tournoi.

Mais l'Afrique du Sud, terre de profondes inégalités sociales, est un cas particulier. Et si les indices qui laissent présager une explosion de violences xénophobes au cours des prochaines semaines ne mentent pas, l'indéniable succès de la Coupe du monde sera vite oublié. Après le mois extraordinaire que vient de vivre le pays, ce serait une tragédie. L'Afrique du Sud a montré au monde un visage souriant et optimiste depuis le 11 juin; la pire chose qu'elle pourrait faire maintenant serait de revêtir le masque grimaçant dont certains aimeraient tant l'affubler.