L'hystérie anti-islamiste ambiante n'est pas sans rappeler le spectre du «péril jaune» qu'on agitait dans les années 50, alors qu'on croyait notre cher pays sur le point d'être envahi par des hordes de Chinois maléfiques.

C'est devenu le thème privilégié de la droite populiste européenne, qui ne rêve que d'interdire la burqa dans l'espace public, comme si c'était le problème numéro un des citoyens! (En Europe comme ici, il y a si peu de burqas que les journaux publient des photos prises en Afghanistan pour illustrer les articles sur le sujet).

 

Ici, même les libéraux, dont le tout premier crédo devrait être le respect des libertés civiles (libéral = liberté), sont tombés dans cette soupe démagogique, en interdisant aux femmes intégralement voilées l'accès aux services publics. Une mesure qui sera renversée par les tribunaux, tout comme la criminalisation du voile intégral le sera sans doute par la Cour européenne des droits de l'homme.

N'importe. Le thème est rentable électoralement, on le voit par l'adhésion spontanée de la population, au Canada anglais aussi bien qu'au Québec, à l'idée de bannir ce voile qu'on n'aime pas. La pratique des libertés civiles est effectivement une ascèse, car elle exige que l'on tolère ce que l'on hait. C'est d'ailleurs pourquoi une société démocratique ne soumet jamais les droits des minorités à des référendums.

Partout, une constante: ce discours anti-voile, qui exploite sur un mode subliminal le refus de l'immigration musulmane, s'enrobe à présent de l'éloge de la «laïcité» - une argumentation que reprend d'ailleurs avec enthousiasme Marine Le Pen, la fille (et successeur probable) du chef historique du Front National.

Je ne minimise pas les horreurs dues à l'obscurantisme islamiste. Mais avant de promulguer des lois d'exception, il faut tout de même mesurer la réalité.

Combien de femmes intégralement voilées ont-elles postulé un emploi dans la fonction publique québécoise? Une? Deux? Zéro?

Combien d'usagères des services publics sont-elles intégralement voilées? En 2008-09, le bureau montréalais de la RAMQ a identifié 146 000 demandeurs de cartes-soleil... dont 10 seulement voulaient être servies par un agent féminin. Oui, bien sûr, c'est irritant. Mais est-ce un si scandale si effroyable, dans un pays où les aéroports dotés de scanners corporels prévoient des couloirs différents pour les femmes et les hommes, où les centres sportifs offrent aux abonnés qui le désirent un entraîneur de leur propre sexe, et où les hôpitaux accommodent les patients qui souhaitent que les soins intimes leur soient prodigués par une personne de leur sexe?

Combien de «niqabées» ont refusé d'ôter leur voile après une arrestation? Aucune, admet la police, qui ne se souvient même pas d'avoir déjà mis une «niqabée» en état d'arrestation. Et pourtant, nos corps policiers viennent de voter une réglementation contre le voile intégral!

C'est comme cette loi votée dans l'émoi il y a deux ans, qui requiert que l'on vote à visage découvert, bien qu'aucune «niqabée» ne se fût jamais présentée à un bureau de vote! Qui plus est, cette loi n'impose l'identification visuelle qu'aux musulmanes, alors que pour les autres, deux documents sans photo suffisent... et que les «snow birds» votent par correspondance!

C'est de l'acharnement. Un acharnement au surplus parfaitement irrationnel. Rien d'étonnant à ce que bien des musulmans, même ceux qui ne sont pas intégristes (c'est la majorité), se sentent stigmatisés à travers cette portion minuscule et marginale, et à vrai dire assez pathétique, de leur communauté.

Cela risque de corrompre les relations du Québec avec la communauté musulmane qui constitue sa principale source d'immigration francophone.