Le problème du gouvernement Charest, c'est d'avoir attendu la seconde moitié de son troisième mandat pour commencer à donner un léger coup de barre au soi-disant «modèle québécois».

Règle cardinale de la politique: c'est au début de son premier mandat, lorsqu'un gouvernement bénéficie encore d'un certain état de grâce, qu'il doit procéder aux réformes les plus difficiles.

 

M. Charest a fait exactement l'inverse. Il a dilapidé ses meilleures années. Son projet de «réingénierie» (sic) de l'État s'est désintégré avant même d'avoir été formulé, et ses seules audaces susceptibles de heurter l'opinion publique portèrent sur des enjeux tout à fait secondaires, comme la privatisation du mont Orford. Il était vraiment insensé d'aller perdre sa crédibilité pour de pareilles vétilles.

Dans l'ensemble, ces sept années de règne se déroulèrent sous le signe de l'immobilisme. Il n'y a pas un dossier épineux dans lequel le premier ministre a osé prendre position - le cas du CHUM en étant l'exemple le plus pathétique. Au contraire, soucieux d'éviter tout remous, il a poursuivi mollement la politique irresponsable de ses prédécesseurs: gel des droits de scolarité, garderies à prix d'aubaine, bas tarifs d'électricité, ainsi de suite.

Pire, en procédant coup sur coup à des diminutions d'impôts et à une baisse de la TVQ, le gouvernement envoyait le message que les finances publiques étaient en bon état. (Mais évidemment, cela c'était avant les élections...).

Ce n'est que sous la pression constante et publique des «lucides» et d'un groupe d'économistes renommés que M. Charest a finalement osé sortir de sa torpeur, ou en tout cas laisser un peu de corde à son ministre des Finances. Mais c'était trop tard.

Même si le coup de barre était faible (sauf en ce qui concerne les ponctions exercées sur les citoyens dans le secteur de la santé), un gouvernement usé n'a plus la crédibilité nécessaire pour faire passer des réformes qui dérangent, d'autant moins que les électeurs ont été habitués pendant sept ans au ronron complaisant et assoupissant d'un gouvernement qui ne pensait qu'à sa réélection.

Peut-être M. Charest est-il prêt à prendre le risque de l'impopularité, maintenant qu'il est devenu le seul premier ministre de l'histoire contemporaine du Québec à avoir remporté trois mandats consécutifs... Si c'est le cas, on peut dire que M. Charest se satisfait de peu.

Derrière le nombre record des 77% d'insatisfaits (selon Léger Marketing), il n'y a pas que la colère des «cols rouges» en furie contre le dernier budget. Il y a aussi de multiples irritants, dont les rumeurs sur la corruption dans l'industrie de la construction.

Contrairement à ce que l'on avait cru un moment, cette question ne s'est pas volatilisée avec les vacances de Noël. Les électeurs ont de la mémoire, et ils font des liens. Ils savent qu'une partie des sacrifices qu'on va leur imposer tient au fait qu'une part indéterminée des fonds publics est siphonnée par des entrepreneurs cupides qui bénéficient de la complicité de décideurs corrompus. Rien d'autre ne peut expliquer l'état catastrophique de la voirie québécoise.

Même si l'on se méfie des commissions d'enquête à la Gomery (c'est mon cas), force est de constater que M. Charest aurait dû étendre à l'industrie de la construction le mandat qu'il vient de confier à l'ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache - un excellent choix, d'autant plus que Me Bastarache, étant Acadien, sera d'une neutralité parfaite. Dommage que sa compétence soit en quelque sorte gaspillée à examiner les assertions farfelues de Marc Bellemare, dont ni la stature ni la crédibilité ne justifient qu'on lui consacre une commission d'enquête.