Quand le gouvernement Charest a déposé son projet de loi sur le niqab, quelques commentateurs et même certains avocats spécialisés en matière de droits civils se sont imaginé, sur la foi d'un texte assez alambiqué, que jamais la loi ne permettrait à des fonctionnaires de refuser les services de l'État à une personne portant un voile intégral.

Quand le gouvernement Charest a déposé son projet de loi sur le niqab, quelques commentateurs et même certains avocats spécialisés en matière de droits civils se sont imaginé, sur la foi d'un texte assez alambiqué, que jamais la loi ne permettrait à des fonctionnaires de refuser les services de l'État à une personne portant un voile intégral.

Or, il ne s'était pas écoulé trois semaines depuis le dépôt du projet de loi 94 qu'un cas patent d'abus de pouvoir allait leur donner tort. En effet, on ne peut ouvrir la porte à la répression sans que cela ne mène à la répression.

Hélas, ce dernier cas a été pratiquement passé sous silence dans la presse francophone, contrairement au cas plus problématique de Naema, dont on avait fait grand état. Cette dernière, on s'en souvient, avait été expulsée d'un cours de français pour immigrants parce que ses exigences exorbitantes dérangeaient le cours de la classe; elle refusait d'être vue de face par des étudiants masculins, de se prêter aux exercices de conversation et de communiquer avec les hommes. De guerre lasse, le cégep a décidé de l'expulser si elle n'acceptait pas de se dévoiler. La décision se tenait.

Au contraire, Aïsha (le pseudonyme d'une immigrante indienne) était une étudiante modèle - «l'une de nos meilleures étudiantes», précise Joanie Lavoie, la coordinatrice du centre d'intégration où la jeune femme suivait des cours de français. Malgré sa conception rigoriste de l'islam qui lui faisait porter le niqab, elle entretenait des relations cordiales avec ses collègues masculins, participait activement à la classe, articulait très bien et ne réclamait aucun accommodement particulier.

Or, après cinq semaines de cours où sa présence n'avait causé aucun problème à qui que ce soit, deux fonctionnaires du ministère de l'Immigration débarquent à la soviétique dans le centre pour placer Aïsha devant un ultimatum : le voile ou la porte. Leur intervention abrupte n'a même pas laissé le temps à la direction de l'école de préparer la jeune femme au choc qui allait suivre. Elle est retournée chez elle en pleurs: «J'aimais mes cours de français et cette classe était mon second foyer...»

Où l'on voit que lorsqu'un gouvernement stigmatise dans un texte de loi une minorité religieuse, il établit d'emblée un climat d'intolérance.

Le fait qu'une femme se croit tenue par sa religion de se couvrir le visage est, à nos yeux, ridicule (tout comme le sont beaucoup d'autres pratiques religieuses). Mais cela ne justifie aucunement que l'on prive une citoyenne ou une immigrante inoffensive (dont le mari, montréalais d'origine, est au surplus un contribuable québécois) de bénéficier des services gouvernementaux.

Le plus absurde, ici, est que cette jeune femme voulait - et aimait - apprendre le français. La voilà confinée à la maison, sans possibilité d'apprendre la langue commune et de sortir de son cercle familial. Il n'y a pas de quoi être fiers de nous, Québécois, qui prétendons vouloir intégrer nos immigrants.

Sur cette question, on n'attend pas grand-chose du PQ, pour qui les droits collectifs ont toujours eu préséance sur les libertés individuelles (sauf sous René Lévesque). Mais que sont devenus les libéraux, dont le premier crédo devrait être, comme leur nom l'indique et comme Claude Ryan le leur rappelait constamment, le respect des libertés civiles? La liberté de religion n'en fait-elle pas partie? A-t-on entendu des protestations contre le projet de loi 94, au dernier conseil général du PLQ? Il ne s'est même pas trouvé un seul militant pour demander des comptes à la ministre James sur le comportement de ses apparatchiks! Voilà qui montre à quel niveau de déchéance intellectuelle et morale en est rendu ce parti.