Tous les gouvernements, même dans les pays les plus démocratiques, tentent de contrôler l'information - non pas en muselant la presse, mais en émettant leurs messages de la façon qui améliorera leur image.

Tous les gouvernements, même dans les pays les plus démocratiques, tentent de contrôler l'information - non pas en muselant la presse, mais en émettant leurs messages de la façon qui améliorera leur image.

Chaque détail compte: c'est pour apparaître sympathiques et conviviaux que Jean Charest et ses ministres se sont présentés à leur dernière conférence de presse en jeans et en chemise sport.

Une vieille tactique, entre autres, consistait à publier les mauvaises nouvelles le vendredi en fin d'après-midi, en escomptant que l'annonce se perdrait dans le brouhaha vacancier du week-end. De telles tactiques sont moins efficaces aujourd'hui, à l'ère des nouvelles continues et de la blogosphère, qui fonctionne sans répit. Autre tactique classique, le choix minutieux du décor dans lequel le ministre fera telle ou telle annonce: avec la mer, ou la campagne, ou des enfants en fond de scène...

Tout cela est en général assez inoffensif. Les journalistes sont entraînés à déceler la petite bête cachée dans l'emballage, et il est rare que les enjeux graves échappent à l'opinion publique. Il vient toujours un moment où le chat sort du sac...

Il y a cependant un gouvernement qui a poussé le contrôle de l'information jusqu'à son extrême limite - de fait, jusqu'à l'absurde - et c'est le gouvernement Harper. Ses ministres se produisent rarement en public, et leurs moindres faits et gestes sont planifiés par le bureau du premier ministre. On se demande comment les adultes à qui M. Harper a confié des ministères peuvent accepter d'être encadrés comme des enfants d'école, et comment le premier ministre peut encore trouver des gens désireux de jouer les potiches.

Le «micro-management» a atteint un point où les informations d'intérêt public les plus routinières sont distribuées au compte-gouttes. Ce contrôle maniaque est en train de priver la fonction publique du peu qu'il lui restait de vitalité, de démotiver les hauts fonctionnaires, voire de tuer la diplomatie canadienne, elle aussi mise en tutelle comme si elle était l'émanation d'une vulgaire dictature. La moindre initiative d'une ambassade à l'étranger doit passer par le Père-Supérieur-qui-est-à-Ottawa. Un ambassadeur ne peut même pas accorder une entrevue à un journaliste sans en référer au bureau du premier ministre!

Le Hill Times, un journal basé à Ottawa qui couvre de très près la colline parlementaire, publiait hier, à ce sujet, un reportage aussi troublant qu'éloquent. L'un des outils de contrôle, mis en place depuis 2007, porte le nom intraduisible de «Message Event Proposal»: il s'agit du plan ultradétaillé que tout responsable des communications au sein d'un organisme gouvernemental doit soumettre, avant toute communication publique, au personnel politique du ministre ou au bureau du premier ministre - où le plan sera approuvé, rejeté ou modifié.

Les fonctionnaires responsables des communications passent une partie de leur journée de travail à remplir le questionnaire de trois pages du «MEP». On leur demande quel est le genre de manchette, de photo ou de citation parlée que l'on désire obtenir de la part des médias, quelles seront les réponses à quel genre de questions, et quels seront les arguments mis de l'avant. On demande aussi des détails sur le décor de l'événement, les outils de communication, la longueur et le ton du discours, et jusqu'à l'habillement de l'orateur! Et le plan doit être remis en haut lieu trois jours avant la conférence de presse ou l'interview envisagés. Cela s'applique même aux relations publiques les plus banales, comme le fait de répondre par téléphone ou courriel à la question d'un journaliste. D'où, évidemment, un climat d'autocensure généralisé.

Cette culture obsessionnelle du secret a atteint une dimension pathologique qui n'est pas loin de la paranoïa.