Il y a des jours où l'on se demande pourquoi il se trouve encore des gens qui veulent entrer en politique. Voyez ce qui arrive au chef travailliste britannique Gordon Brown, qui voit la réélection de son parti sérieusement compromise par ce que les médias appellent une «gaffe», mais qui serait plutôt, si l'on se fie au sens commun, un mouvement d'impatience bien compréhensible.

Il y a des jours où l'on se demande pourquoi il se trouve encore des gens qui veulent entrer en politique. Voyez ce qui arrive au chef travailliste britannique Gordon Brown, qui voit la réélection de son parti sérieusement compromise par ce que les médias appellent une «gaffe», mais qui serait plutôt, si l'on se fie au sens commun, un mouvement d'impatience bien compréhensible.

En tournée en banlieue de Manchester, il est apostrophé par une femme de 65 ans qui déblatère contre les immigrants. Contrairement à Nicolas Sarkozy qui perd souvent son sang-froid dans de pareilles circonstances, M. Brown, le flegme anglais aidant, reste parfaitement courtois. Ce n'est qu'une fois dans sa voiture, se croyant seul avec ses collaborateurs, qu'il laisse percer sa mauvaise humeur, en décrivant la femme comme «a sort of bigoted woman» - une femme à l'esprit étroit - un commentaire fort réservé car d'autres auraient parlé, à sa place, d'«une espèce d'emmerdeuse». Hélas, le micro que Sky News lui avait épinglé au veston était resté ouvert...

Brian Mulroney s'est déjà fait piéger de la sorte, en 1985, par une dénommée Solange Denis, qui lui avait vertement reproché son projet de désindexer les «pensions de vieillesse»: «Tu nous as fait voter pour toi et après tu nous as menti. Goodbye Charlie Brown!» L'incident enflamma l'électorat des têtes grises, et le gouvernement finit par battre en retraite.

La sortie de Gillian Duffy était aussi agressive, mais plus incohérente que celle de Mme Denis. Mme Duffy accuse le premier ministre sortant d'ignorer le sort des gens «vulnérables» alors que ceux qui n'y ont pas droit reçoivent de l'aide sociale. Poliment, M. Brown tente une explication. Elle l'interrompt: «On peut rien dire sur les immigrants parce qu'on dit qu'on est... tous ces immigrants qui viennent d'Europe de l'Est, d'où est-ce qu'ils sortent?» M. Brown répond que «s'il y a un million d'immigrants européens, il y a autant de Britanniques qui vivent en Europe» (la Grande-Bretagne se considère en dehors du continent). L'échange se termine sur une note plus calme.

Mais l'incident vient confirmer l'image de froideur du leader travailliste et devient une affaire d'État, gonflée par les médias sensationnalistes qui sont particulièrement vicieux en Grande-Bretagne. M. Brown, prêt à toutes les humiliations pour sauver sa campagne, se couvre la tête de cendres et fait le parcours du pénitent. Il demande solennellement pardon à Mme Duffy à la radio. Il se rend chez elle en personne pour s'excuser encore, concluant qu'il avait mal compris les propos de la dame, et qu'il est «un pécheur repenti».

Jeudi, lors du débat télévisé des chefs (le dernier avant le scrutin du 6 mai), il s'est encore excusé à mots couverts. Si les travaillistes perdent le pouvoir ou ne récoltent qu'un gouvernement minoritaire, ce sera en partie à cause de cet incident insignifiant à l'échelle des problèmes réels auxquels est confrontée la Grande-Bretagne.

Il faut dire que les politiciens britanniques n'ont pas la vie facile. Il suffit qu'une aventure extra-maritale (avec un(e) adulte consentant) soit exposée par un tabloïd pour détruire une carrière. Tony Blair, mari fidèle, a échappé à ce sort-là, mais voyez le dernier film de Roman Polanski, Ghost writer, basé sur un récent best-seller. Le sosie de Blair est le pantin ridicule et vaniteux du sosie de Cherie Blair, sombre manipulatrice qui travaille secrètement pour la CIA... Un bon film d'action (c'est Polanski, après tout), mais un scénario infantile. Après 10 ans de service public, l'ancien premier ministre méritait-il un pareil traitement?