Les déboires de l'euro ne renvoient pas qu'à un problème monétaire, et c'est d'ailleurs pourquoi la crise grecque porte en elle les germes d'une érosion de cette entité politique qu'on appelle aujourd'hui simplement «l'Europe», comme pour faire croire que cet assemblage de pays disparates représente un ensemble cohérent.

Les déboires de l'euro ne renvoient pas qu'à un problème monétaire, et c'est d'ailleurs pourquoi la crise grecque porte en elle les germes d'une érosion de cette entité politique qu'on appelle aujourd'hui simplement «l'Europe», comme pour faire croire que cet assemblage de pays disparates représente un ensemble cohérent.

La faillite de la Grèce, qui risque de s'étendre à la péninsule ibérique et à une Italie plombée par sa partie sud, laisse croire que l'Union européenne s'est agrandie beaucoup trop rapidement.

Au départ, il y avait le couple fondateur: la France et l'Allemagne. Il était logique d'y adjoindre le Bénélux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), dont le niveau de vie et la culture politique étaient comparables. Logique aussi d'y associer l'Espagne et l'Italie, après que ces pays eurent pleinement accédé à la démocratie et à la modernité. L'Allemagne entraînait l'Autriche, et le Bénélux entraînait la Scandinavie. La Grande-Bretagne résistait, mais elle constituait le flanc atlantique de l'Europe - quoique, encore aujourd'hui, les Britanniques, insulaires invétérés, considèrent que l'Europe s'arrête à la Manche.

Ce premier cercle, donc, c'était l'Europe de l'Ouest. On aurait dû arrêter là, et considérer le reste du continent comme des entités proches, mais séparées: l'Europe centrale (Pologne, Hongrie, République tchèque) et l'Europe de l'Est (Roumanie, Bulgarie, Balkans). Ni la péninsule balkanique, la Grèce y compris, ni le bloc des pays de l'Est à peine émergés du joug soviétique, n'avaient la même culture politique et encore moins les mêmes capacités économiques, que l'Europe de l'Ouest.

Mais de puissantes pressions expansionnistes étaient à l'oeuvre. Pour les États-Unis et ceux qui craignaient une résurgence de l'impérialisme soviétique, l'élargissement vers l'est confirmait l'isolement de la Russie. Pour la France, qui rêvait depuis 50 ans d'une «troisième force» susceptible de faire contrepoids aux États-Unis, l'Europe devait s'agrandir pour devenir un joueur de dimension planétaire. L'Allemagne n'avait pas le choix de ne pas réintégrer l'ancienne RDA, ce qui en toute logique ouvrait les portes à l'ancien bloc soviétique. Et, bien sûr, la puissante bureaucratie qui coiffe le tout, à Bruxelles et à Strasbourg, avait tout naturellement intérêt à agrandir son domaine.

L'Europe à 27 s'étend aujourd'hui jusqu'aux républiques baltes, à la Finlande et à la Bulgarie. Elle devra d'ici quelques années décider du sort de la Turquie, l'encombrante candidate qui, avec une large population musulmane et un taux élevé de natalité, deviendrait rapidement le plus gros pays de l'union, et donnerait à l'Europe une frontière commune avec la Syrie, l'Irak et... l'Iran. Outre les problèmes que cela poserait au chapitre de la sécurité et de la mobilité, l'entrée de la Turquie achèverait la transformation de l'Union européenne en une sorte de mosaïque sans identité particulière. La politique étrangère, déjà difficile à définir à 15, est devenue une fiction à 27 et le serait encore plus si l'Europe débordait sur l'Asie Mineure.

Quelques pays, comme la Grande-Bretagne, la Suède et le Danemark, s'entêtèrent à garder leur monnaie. Mais l'Allemagne, dans une décision que beaucoup d'Allemands déplorent aujourd'hui, accepta de renoncer au deutschmark, elle aussi emportée par l'illusion qu'une monnaie commune cimenterait l'Union. Mais c'était sans compter sur le fait que trop de pays membres ne jouent pas selon les règles établies dans les vieilles démocraties. Pendant que l'Allemagne se serrait la ceinture, la Grèce falsifiait ses livres...

Comme les pays-membres sont maintenant dépourvus des outils de contrôle monétaire qui leur permettraient de redresser leur économie, la faillite d'un seul suffit à plomber la monnaie commune. La fureur des Allemands, principaux bailleurs de fonds, se fera longtemps sentir. L'euro ébranlé, c'est tout l'édifice qui en subit les contrecoups, et d'autant plus fortement qu'il a été construit trop vite, sur un terrain trop fragile.