Ce n'était vraiment pas nécessaire de s'en prendre aussi violemment au cardinal Ouellet, un homme qui se situe en dehors de l'histoire et qui ne représente à peu près plus personne, du moins en ce qui concerne l'avortement. Son opinion, aussi radicale et insensée soit-elle, il avait absolument le droit de l'exprimer sans se faire couvrir d'insultes grossières et hargneuses.

Ce n'était vraiment pas nécessaire de s'en prendre aussi violemment au cardinal Ouellet, un homme qui se situe en dehors de l'histoire et qui ne représente à peu près plus personne, du moins en ce qui concerne l'avortement. Son opinion, aussi radicale et insensée soit-elle, il avait absolument le droit de l'exprimer sans se faire couvrir d'insultes grossières et hargneuses.

Si le cardinal représentait un danger, s'il avait encore la moindre influence sur la société en dehors de son petit cercle de dévots, on aurait compris, à la rigueur, la violence des réactions contre son discours. Mais on le voit par le sondage Léger Marketing que le Journal de Montréal publiait jeudi: les «pro-vie» absolutistes, ceux qui s'opposent à l'avortement même en cas de viol, sont une mincissime minorité de... 1%!

L'écrasante majorité des Québécois (94%) sont en désaccord avec la position de Mgr Ouellet; 77% considèrent qu'il est faux de prétendre que les femmes abusent de l'accès à l'avortement ; 38 % souhaiteraient toutefois rouvrir le débat sur l'avortement. Ce chiffre est ambigu car, parmi ceux-là, se trouvent ceux qui voudraient que l'avortement soit encadré par une loi.

Au Canada en effet, l'avortement a été «décriminalisé», mais n'a jamais fait l'objet d'une loi. Les puristes appellent cela «un vide juridique»... mais dans la pratique, c'est beaucoup mieux ainsi. Tout projet de loi nous entraînerait dans une multitude d'arguties. Certains voudraient poser des balises, interdire l'avortement au-delà des premières 12 ou 16 semaines, d'autres au contraire voudraient qu'une loi autorise explicitement les avortements à tous les stades de la grossesse...

Le flou actuel est de loin préférable à l'encadrement législatif. De nos jours, les Canadiennes ont accès à peu près partout à l'avortement, jusqu'à l'étape cruciale où le foetus est viable en dehors du corps de la mère. À ce stade-là, il ne se pratique à peu près pas d'avortements au Canada, non pas pour des raisons juridiques, mais parce que la très grande majorité des médecins et des infirmières - à commencer par le Dr Morgentaler lui-même - se refusent à pratiquer ces interventions risquées et moralement contestables. Les rares avortements tardifs s'effectuent dans quelques cliniques américaines ultraspécialisées.

Le débat, de toute façon, ne reprendra pas de sitôt. Le premier ministre Harper vient d'ailleurs de faire savoir qu'il expulserait du caucus ceux de ses députés qui voteraient en faveur d'un projet de loi privé visant à recriminaliser l'avortement. C'est un engagement radical, car la tradition veut que sur les questions de conscience comme celle-là, les députés ne sont pas liés par la ligne du parti.

Les «pro-vie» avaient eu un regain d'espoir quand le gouvernement a annoncé qu'il refuserait de financer l'avortement dans son programme d'aide à la santé des mères du monde en voie de développement, programme qui s'inscrit dans un plan plus large du G8 et du G20. C'était une position pour le moins scandaleuse et illogique en plus - le Canada se trouvait ainsi à refuser aux femmes du tiers-monde, qui sont à tous égards beaucoup plus vulnérables que les Canadiennes, un droit qu'il accorde à ses propres ressortissantes!

Malgré ce dérapage, peut-être simplement destiné à plaire à la frange radicale de son électorat, il serait impensable qu'un gouvernement canadien, quel qu'il soit, remette une question aussi explosive que l'avortement sur la planche à dessin. La très forte majorité des citoyens, et probablement même une grande partie des électeurs conservateurs, se rebelleraient. Même le plus idéologique des gouvernements ne serait pas assez fou pour s'enferrer dans pareil guêpier, car cela le mènerait à sa perte. On n'est tout de même pas en Thaïlande, ici!