Les musulmans de New York ont-ils le droit d'ériger un centre culturel à deux pâtés de maisons de Ground Zero? Oui, certainement. La liberté religieuse est garantie par la constitution américaine, comme d'ailleurs par la nôtre.

Les musulmans de New York ont-ils le droit d'ériger un centre culturel à deux pâtés de maisons de Ground Zero? Oui, certainement. La liberté religieuse est garantie par la constitution américaine, comme d'ailleurs par la nôtre.

Devraient-ils le faire? Est-ce indiqué, est-ce moral, est-ce convenable, de construire un centre islamique à l'ombre du site où se produisit, au nom de l'Islam, l'attaque la plus meurtrière jamais perpétrée en sol américain?

Voilà la question. Il y a le droit, au sens juridique, ou au sens plus noble des droits consentis au chapitre des libertés civiles fondamentales. Mais la sensibilité aux autres? Cela ne relève plus de la constitution, mais de la bienséance.

Nombre d'Américains considèrent, non sans raison, le site où les deux tours se sont effondrées comme un lieu sacré... encore qu'on pourrait leur demander pourquoi, dans ce cas, ils y tolèrent la construction de l'hôtel et des tours à bureaux qui remplaceront les tours du WTC. Mais bon, si les Amérindiens luttent pour préserver des cimetières soi-disant ancestraux dont aucune trace ne subsiste, ni dans la géographie ni dans la mémoire de nos contemporains, pourquoi les Américains ne pourraient-ils pas se sentir mortellement blessés, à tout le moins intolérablement nargués, par le projet de Cordoba? Il y a quelques années, les autorités ont interdit l'érection d'un parc à thème de Disney à proximité du champ de bataille de Manassas, parce que cela aurait désacralisé un haut lieu de la guerre civile. Un projet de tour commerciale à proximité de cet autre lieu historique qu'est Gettysburg a été également interdit.

Les promoteurs de Cordoba (le nom vient de la ville de Cordoue, où chrétiens, juifs et musulmans vécurent en bonne entente avant l'Inquisition) soutiennent que leur centre sera sur le modèle des «Y» - un lieu d'activités diverses voué à la tolérance et à l'ouverture... On demande à voir. Les «Y», qu'ils soient juifs ou protestants, ne font pas de prosélytisme. Par contre, le projet Cordoba, même s'il ne s'agira pas d'une mosquée proprement dite, exaltera la culture islamique et la cuisine halal et contiendra une salle de prière destinée aux musulmans. Ses 13 étages de verre et d'aluminium en feront un point de ralliement extrêmement visible, à la limite une sorte de symbole de l'islam triomphant, sur les lieux mêmes où la démocratie américaine subit son plus dur coup.

Son promoteur, l'imam Feisal Abdul Rauf, passe pour un modéré. L'administration américaine lui a même confié des missions destinées à améliorer les rapports avec le monde arabe. C'est pourtant le même homme qui a déjà déclaré que la politique américaine a été «complice» du 9-11, que Ben Laden était «une création américaine», et qui refuse d'admettre que le Hamas est une organisation terroriste.

On verra bien, en tout cas, si le futur Centre Cordoba aura la décence de se dissocier formellement du wahhabisme, le courant islamiste meurtrier qui a produit Al-Qaïda, et de rendre hommage, par des plaques commémoratives, aux victimes du 9-11...

Le président Obama a tenté de naviguer sur ces eaux troubles en déclarant que les musulmans ont le droit d'ériger des mosquées où ils le veulent. Il avait raison. Mais ses adversaires ont eu tôt fait de l'accuser d'avoir approuvé le projet Cordoba... ce qu'Obama n'avait pas fait explicitement. Il s'est rétracté le lendemain en disant que si la liberté de culte était inscrite dans la constitution, il n'avait pas d'opinion sur le bien-fondé du projet. Finalement, il aurait mieux fait de se taire, plutôt que d'embarquer dans une polémique sur laquelle il ne voulait pas exprimer d'opinion personnelle.