Les retraites! C'est l'enjeu qui ramènera cet automne les Français sur les barricades, sous le regard incrédule des étrangers.

Les retraites! C'est l'enjeu qui ramènera cet automne les Français sur les barricades, sous le regard incrédule des étrangers.

Incrédule, et pour cause. De tous les pays européens, la France est celui où l'âge d'accès à la pleine retraite est le plus bas: 60 ans, alors que partout ailleurs, le seuil est fixé à 65 ans, et que plusieurs gouvernements envisagent de le hausser à 68 ans.

Et voici le cataclysme qui s'annonce: le gouvernement entend reporter à... 62 ans le moment béni où l'on pourra jouir de vacances perpétuelles. Grand appel des syndicats à la «mobilisation générale», grand émoi dans la gauche caviar, où l'on s'échine à trouver des raisons de condamner cette infamie. Imaginez, pour certaines catégories de salariés, cette mesure reculera la retraite de... quatre mois ! Refrénez vos sanglots, ami lecteur.

Cette «exception française» que constitue la retraite à 60 ans recouvre une réalité encore beaucoup plus... exceptionnelle, en raison de l'existence d'une multitude de «régimes spéciaux». À EDF, l'équivalent d'Hydro, l'âge moyen de la retraite est de 55 ans; dans la fonction publique, de 57 ans, et à la RATP (les transports parisiens), de 54 ans. Le record revient à la SNCF, la compagnie des chemins de fer dont les régimes de retraite ont été fixés à l'époque où les valeureux cheminots pelletaient le charbon pour alimenter la locomotive. Ces messieurs-dames dont la fonction est aujourd'hui de se promener dans des wagons ultramodernes pour contrôler les billets peuvent bénéficier de la pleine retraite à... 52 ans.

Ne nous étonnons pas d'apprendre, par les sondages, qu'une majorité de jeunes Français rêvent de devenir fonctionnaires !

Le reste de la vie sociale est à l'avenant. C'est en France que les enfants passent le moins de jours à l'école. Pour accommoder les parents qui bénéficient de la semaine de 35 heures et surtout leurs enseignants, les élèves du primaire ont la semaine de quatre jours et passent 35 semaines à l'école (contre plus de 37 partout ailleurs en Europe de l'Ouest sauf en Italie). Ce sont les enfants qui font les frais de la semaine de quatre jours: sur cette période réduite, ils doivent encaisser 914 heures de classe, alors qu'ailleurs, les heures de classe vont de 724 à 880.

Le phénomène n'est pas sans rappeler ce qui se passe dans le monde du travail. La France est le pays où l'on passe le moins d'heures au travail. En revanche, c'est l'un des pays les plus productifs au monde.

Est-ce un miracle de la Vierge de Lourdes? Nenni. Cette productivité tient au fait que la main-d'oeuvre est bien formée et la technologie avancée, mais aussi au fait que les petits salariés, comme les élèves du primaire, sont soumis de la part de leur hiérarchie à une pression intense, dans certains cas à la limite du tolérable. C'est ce qui expliquerait (seulement en partie, bien sûr) la récente vague de suicides à France Télécom.

Le débat sur les retraites se double d'une question explosive: celle de la «pénibilité» du travail, qui justifierait une retraite précoce. On conviendra aisément qu'un mineur devrait se retirer avant un bibliothécaire, mais l'évaluation de la pénibilité est un exercice fort compliqué. Aussi le gouvernement a-t-il trouvé une solution avisée: le droit à la pleine retraite sera subordonné au nombre d'années de cotisation, ce qui en principe favorise les ouvriers manuels, qui ont commencé à travailler plus jeunes.

Mais l'affaire reste inextricable: l'enseignante qui doit gérer des classes de secondaire difficiles ne subit-elle pas plus de stress qu'un boulanger ou un maçon?