Où en serons-nous dans deux ans? Ma prédiction: Jean Charest travaillera dans l'entreprise privée. Pauline Marois sera première ministre. Et Marc Bellemare se sera recyclé dans la florissante industrie des talk-shows.                

L'homme passe bien à la télé. Il projette l'image d'un bon gars ordinaire et sympathique. Il aura suffi de quelques jours pour qu'il devienne l'étoile de la commission Bastarache, voire une sorte de héros populaire, en dépit de la fragilité inouïe de ses allégations, de ses trous de mémoire et de l'amas de contradictions qui imprègne son témoignage, en dépit aussi de ce côté brouillon qui explique d'ailleurs pourquoi son bref passage en politique n'a rien eu d'étincelant.

Que la seule preuve tangible qu'il ait soumise à la Commission soit une note de trois mots (trois mots griffonnés à l'endos cartonné d'un calepin alors qu'il regardait un match de hockey!) aurait suffi à discréditer un témoin devant la commission Gomery, mais apparemment M. Bellemare échappe aux lois qui régissent normalement le processus judiciaire.

Il y a tellement d'invraisemblances dans son témoignage qu'on en reste bouche bée.

Quoi? Un vieux routier comme Franco Fava aurait été assez stupide pour remettre un don en espèces à un organisateur libéral au beau milieu du restaurant Michelangelo, et les deux hommes auraient compté une liasse de billets à la vue des clients de ce restaurant très couru par la classe politico-médiatique de la Vieille Capitale au lieu d'aller conclure la transaction en privé?

Quoi? Le politicien prudent et expérimenté qu'est Jean Charest aurait été assez sot pour intimer en toutes lettres à un néophyte, un homme dont il se méfiait au surplus, l'ordre d'obéir en tout temps aux collecteurs de fonds du parti?

Je ne dis pas que ces derniers n'exercent pas une certaine influence sur le gouvernement libéral. Il est fort probable que quand M. Fava téléphone, on ne le laisse pas poireauter en ligne. Mais on sait bien que cette influence, si elle existe, s'exerce dans la discrétion. Le récit de M. Bellemare ne correspond pas à la pratique générale de la politique, encore moins au tempérament de M. Charest.

N'importe. La commission Bastarache aura raison du PLQ comme la commission Gomery a eu raison des libéraux fédéraux. En politique, l'image et les impressions pèsent plus lourd que les faits. Même si la contre-offensive gouvernementale, qui s'annonce féroce, devait aboutir à un rapport qui blanchirait le premier ministre, le mal est fait.

Si tant de gens ont préféré croire Marc Bellemare plutôt que l'homme à qui ils ont pourtant confié le pouvoir à trois reprises, c'est que les accusations de l'ancien ministre sont tombées à point (il avait judicieusement calculé son coup), au moment où la crédibilité de M. Charest était à son plus bas.

Après sept ans au pouvoir, ce dernier s'est aliéné bien des gens, pour toutes sortes de raisons. C'est assez normal. Le problème c'est qu'il n'y a jamais eu un temps fort, de grands moments, une réalisation majeure, bref quelque chose qui puisse contrebalancer les erreurs et les omissions. Après sept ans d'un règne terne et décevant, la vilaine goutte d'eau fut son refus obstiné d'enquêter sur l'industrie de la construction. D'où le sentiment répandu que le premier ministre avait quelque chose à cacher et que le Parti libéral était indissolublement lié aux puissances de l'argent. Quand Marc Bellemare a surgi à l'avant-scène en brandissant la hache de guerre, les gens étaient disposés à le croire sur parole...

Cette chronique fait relâche pour les trois prochaines semaines. Retour début octobre.