Les problèmes qu'affronte la Chine sont à la mesure de sa population : gigantesques. Et pourtant, la Chine progresse, à coup de paradoxes saisissants.

Les problèmes qu'affronte la Chine sont à la mesure de sa population : gigantesques. Et pourtant, la Chine progresse, à coup de paradoxes saisissants.

Je l'ai réalisé une fois de plus lors d'un récent voyage (mon quatrième en 30 ans) dans cette contrée fabuleuse.

Le premier paradoxe qui vous saute aux yeux, parce que c'est le plus visible, est la coexistence d'une véritable boulimie automobile... conjuguée à un souci peu commun de l'environnement.

En 1986, les larges avenues de Pékin entaillées dans la ville ancienne par les Soviétiques - histoire d'y faire passer les chars et les tanks - étaient remplies de cyclistes. Seule la nomenklatura se déplaçait en auto. N'eussent été des grues et des marteaux-piqueurs qui peuplaient le paysage (déjà, l'on construisait partout), le silence aurait été total, traversé seulement par la musique aérienne des clochettes des vélos.

2010: le choc. À Pékin, la congestion automobile est l'horreur absolue. Le pire, c'est que par un réflexe de «nouveau riche», les Chinois n'achètent que de grosses bagnoles. Même à Chengdu, ville moyenne (selon les standards chinois) avec son petit quatre millions d'habitants, les embouteillages sont infernaux. Curieusement, c'est à Shanghai, la métropole commerciale, que la circulation est la plus fluide; mais cela s'explique par le fait que la ville moderne, d'abord bâtie par les Européens, a continué à se développer selon un modèle occidental.

Et pourtant, le long de ces autoroutes et de ces échangeurs géants que l'on construit partout avec frénésie, on plante au même rythme des arbustes, des plans gazonnés et même des arbres matures, pour absorber le gaz carbonique et réduire la pollution.

On fait grimper des vignes le long des piliers des viaducs. On installe des pots de fleurs sur les remblais, on fait croître des plantes sur le terre-plein des grandes avenues. On a démoli des quartiers entiers, mais on a aussi aménagé dans les villes de magnifiques parcs qui sont autant d'oasis qui purifient l'air et permettent aux habitants d'échapper à leurs logis étriqués pour faire du taï-chi, jouer au mah-jong, chanter des chants patriotiques, valser au son de la musique de «ballroom», ou simplement se promener avec leurs enfants uniques et adorés.

Toujours le réflexe du nouveau riche : on gaspille outrageusement l'électricité à coup de néons, de lumières, d'ampoules, de lampadaires et d'affiches illuminées auprès desquelles nos décorations de Noël sont la sobriété même.

Sur les plateaux tournants des tables des restaurants où s'étale la merveilleuse cuisine chinoise (une vingtaine de plats différents pour un repas de niveau gastronomique), les restes s'accumulent - signe extérieur de richesse, dans ce peuple qui a subi tant de famines, et où le salut rituel entre copains («tché bao le ma?») signifie «As-tu mangé à ta faim?».

Mais une autre pénurie, tout aussi catastrophique, s'annonce : le manque d'eau. Le sud en a en abondance, mais pas le nord. Aussi projette-t-on l'un de ces travaux pharaonesques dont la Chine a le secret : amener, par des canaux, l'eau du Yang-Tsé jusqu'au fleuve Jaune, au nord, dont les eaux se sont taries à cause de la pollution industrielle et de la sédimentation. De grands travaux s'effectuent parallèlement sur les affluents desséchés du fleuve Jaune.

L'autre grand défi: l'écart grandissant entre la classe moyenne urbaine qui goûte enfin à la prospérité et la paysannerie qui demeure très pauvre. C'est devenu la priorité officielle du pouvoir central, moins par compassion que parce que sous tous les régimes, la Chine a toujours craint comme la peste l'émergence des grandes révoltes paysannes qui ont souvent réussi à renverser les dynasties les mieux armées.