L'internet est censuré, d'innombrables dissidents sont en prison (dont le prix Nobel Liu Xiaobo), et pourtant, la contestation du régime s'exprime dans plusieurs domaines à l'air libre... jusqu'à un certain point, certes, mais si l'on compare le climat actuel à la chape de plomb d'il y a seulement 20 ans, l'avancée est fulgurante.

L'internet est censuré, d'innombrables dissidents sont en prison (dont le prix Nobel Liu Xiaobo), et pourtant, la contestation du régime s'exprime dans plusieurs domaines à l'air libre... jusqu'à un certain point, certes, mais si l'on compare le climat actuel à la chape de plomb d'il y a seulement 20 ans, l'avancée est fulgurante.

Han Han, un beau garçon de 28 ans qui est à la fois romancier et champion de course automobile, est le blogueur le plus lu au monde (300 millions de visiteurs). Il s'attaque à des dossiers comme la censure de Google ou les ravages urbains causés par l'Expo de Shanghaï, mais il sait où s'arrêter. Comme il confiait au Globe and Mail, «si je remettais en question le pouvoir du Parti communiste, je ne serais pas ici pour vous parler».

Dans les quotidiens de langue anglaise, soumis comme les autres au contrôle de l'État, il n'est pas rare de lire des commentaires qui critiquent (quoique sur un ton poli) des politiques gouvernementales, comme la destruction de quartiers populaires pour faire place aux grands travaux routiers. En septembre, les journaux publiaient des «tribunes libres» sur le projet d'abolir la peine de mort pour les crimes économiques, et faisaient large place aux manifestations organisées par les victimes des évictions sauvages.

Les guides touristiques, tous agréés par l'État évidemment, font ouvertement allusion aux abus de la révolution culturelle et au fameux «grand bond en avant» qui a causé des dizaines de millions de morts. Pareille franchise aurait été impensable il y a 20 ans.

Mais c'est la relative liberté qui fleurit dans l'art visuel qui m'a le plus frappée. Tant à Pékin qu'à Shanghaï, il existe des «art districts», de larges concentrations de galeries d'art d'avant-garde qui occupent d'anciennes manufactures comme cela se passe à Tokyo, New York ou Montréal, l'avantage étant que ces vastes espaces conviennent à merveille aux performances et aux installations. Ces quartiers sont si étendus qu'on peut y passer une journée entière.

Les techniques sont analogues à ce qui se fait partout ailleurs (vidéos, montages, moulages, oeuvres à lire au second degré, etc.) et elles ont souvent un contenu politique qui passe par la contestation directe ou par la satire, qu'il s'agisse de la domination du Parti communiste, de l'obsession du développement économique ou du «consumérisme». Dans une galerie, la fameuse phrase de Deng Xiaoping par laquelle il bénissait le libre marché («peu importe qu'un chat soit noir ou blanc s'il attrape les souris») est reproduite en caractères de néon sur une caisse enregistreuse.

Un autre artiste représente irrévérencieusement Mao Tsé Toung sous la forme de peluches de pandas, jouant sur le fait que le mot «panda» se prononce un peu comme le nom de Mao. Un autre a sculpté, dans du plastic rouge sang, des figures tragiques d'êtres suppliciés par un pouvoir arbitraire et cruel. Sa main d'acier broyant un homme minuscule renvoie inévitablement à Tiananmen. Dans une autre salle, une gigantesque étoile rouge (le symbole sacré de la révolution maoïste) en plastique, tordue et affaissée comme si on l'avait fracassée contre le mur.

Une boutique vend des cartes postales ornées de photos-montages où l'on se moque férocement des hommes qui se sont succédé au pouvoir. Un artiste dépeint les membres du tout-puissant comité central du PC sous les traits d'une bande d'enfants déguisés en militaires qui palabrent dans une garderie.

Cette dernière oeuvre, entre autres, a été exposée au très officiel Musée d'Art moderne de Shanghaï et au Musée Maillol de Paris, ce qui requérait l'autorisation du gouvernement. La porte, en somme, reste close, mais des fenêtres s'ouvrent...