Curieusement, car c'est une omission que je ne m'explique pas, on n'a guère parlé dans les médias du documentaire Inside Job, sur les dessous de la crise financière de 2008.

Curieusement, car c'est une omission que je ne m'explique pas, on n'a guère parlé dans les médias du documentaire Inside Job, sur les dessous de la crise financière de 2008.

Ce fut pourtant l'un des films majeurs de l'année. Je l'ai vu juste avant qu'il quitte l'affiche au Forum, et presque par hasard: des amis nous en avaient parlé la veille, encore secoués et indignés.

C'est dans cet état que je suis sortie de la projection. C'est peu de dire que j'étais indignée. Je tremblais de rage et j'avais, littéralement, mal au coeur.

Ami lecteur, organisez-vous pour mettre la main sur ce film. Il ne vous rendra pas heureux, mais il vous infligera une dose massive de lucidité... et, hélas, de cynisme, car vous apprendrez qu'Obama a ramené les mêmes renards dans le poulailler.

Bien sûr, je connaissais, dans leurs grandes lignes, les causes de la crise. Mais faute de culture économique, et parce que les histoires de finances (même les miennes!) m'ont toujours profondément rebutée, je n'avais pas suivi les événements par le menu. Mais dans cette histoire, justement, ce sont les détails qui tuent.

Charles Ferguson, le producteur-directeur de ce très bon film, n'a rien en commun avec le pamphlétaire brouillon et démagogue qu'est Michael Moore, mais justement parce qu'il évite les excès et les pitreries, sa dénonciation est beaucoup plus efficace. En plus, c'est un excellent cinéaste. Ces deux heures consacrées à un sujet austère passent comme par magie.

Non, cette crise n'était pas inévitable. Ferguson démontre brillamment que ce sont des décisions politiques qui, de Reagan à Bush en passant par Clinton, ont permis aux banques d'engranger des profits phénoménaux tout en jetant des millions de gens à la rue.

Inside Job décrit, dans leurs ramifications les plus honteuses, la collusion entre gouvernants, banquiers, agences de crédit et économistes, la complaisance des politiciens, les milliards qu'ont empoché ces financiers qui devraient être en prison pour fraude massive au même titre que Bernard Madoff et qui continuent à profiter de la vie sur leurs yachts de parvenus.

Ce film n'est pas un réquisitoire contre le capitalisme ou le libre marché. C'est une dénonciation de l'idéologie qui a poussé les gouvernements américains à refuser de réglementer l'industrie bancaire et de plafonner les rémunérations scandaleuses des dirigeants des institutions financières.

Le pire, pour moi (car c'est un domaine qui m'est plus familier que les milieux financiers), fut d'apprendre que des professeurs d'économie des plus grandes universités américaines - ceux-là mêmes qui conseillaient la Maison-Blanche - étaient rémunérés à titre de consultants ou d'administrateurs par ces mêmes firmes qui tenaient à avoir les coudées franches. On ne parle pas ici de cachets de 3000$ pour une conférence, on parle de conflits d'intérêts phénoménaux qui rapportaient des millions de dollars à ces économistes renommés, au moment même où ils fournissaient aux gouvernements l'argumentation théorique qui justifiait le laxisme.

Et puis, à la fin, on apprend que Barack Obama, loin de sévir contre les crimes de Wall Street, a reconduit tous ces gourous de la déréglementation aux postes-clés de son administration: Ben Bernanke à la Réserve fédérale, Larry Summers au Conseil économique national, entre autres...

Oui, je sais, c'est décourageant. Il y a quand même, soit dit bien égoïstement, une petite consolation dans ce documentaire: le Canada a évité les écueils qui ont fait sombrer nombre d'autres économies, de la minuscule Islande aux puissants USA. Probablement parce qu'il y avait ici plus de contrôles sur les banques et moins d'argent en jeu. En l'occurrence, c'est peut-être dans le « modèle canadien » que réside l'espoir modeste d'une réforme.