Il fallait rêver en couleurs pour s'imaginer que les islamistes ne seraient pas les premiers bénéficiaires de la rébellion contre le président Moubarak.

Il fallait rêver en couleurs pour s'imaginer que les islamistes ne seraient pas les premiers bénéficiaires de la rébellion contre le président Moubarak.

S'ils n'ont pas été à l'avant-garde du mouvement, les Frères musulmans sont maintenant bien installés à l'avant-plan. C'est avec eux que le conseil des ministres, présidé par le vice-président Omar Souleiman, a entamé, dimanche, des négociations.

L'ancien haut fonctionnaire onusien Mohamed ElBaradei, un moment considéré comme le porte-parole de l'opposition, a été sommairement écarté du paysage. Il y a donc, face à face, la puissante organisation des Frères musulmans et l'armée, qui reste pour l'instant le vrai maître du pays.

Les islamistes, absents au début, ont maintenant envahi la place Tahrir, le théâtre de la «révolution du papyrus» (dixit la presse française). Aux grands-messes laïques, où des jeunes célébraient la liberté, ont succédé des séances de prière, les hommes accroupis en direction de La Mecque, le front contre l'asphalte.

À Alexandrie, ce sont les Frères qui mènent le bal, au point où des Coptes qui souhaitaient eux aussi manifester contre Moubarak ont préféré se terrer chez eux par peur d'être agressés.

Si une partie de la classe moyenne urbaine a été galvanisée par les grands idéaux démocratiques, ce sont, à vrai dire, les islamistes qui sont les opposants les plus profondément motivés contre le régime Moubarak. Non seulement parce que l'organisation des Frères musulmans est la plus importante force politique du pays, mais aussi parce que nombreux sont ses militants qui ont été pourchassés sans merci, emprisonnés sans procès et torturés.

La traque des islamistes, réactivée après l'assassinat de Sadate et intensifiée après les premiers attentats sanglants contre les touristes, en 1997, a fabriqué des milliers de «martyrs» que la répression a radicalisés à jamais. Durant l'anarchie des débuts, beaucoup de militants islamistes se sont échappés des prisons. Tous avec la rage au coeur...

Le théâtre qu'offrait la place Tahrir aux premières heures de la révolte, avec ses manifestants bilingues, ses juristes laïcs et articulés, et son atmosphère de Mai 68, était trompeur. Ce tableau n'était pas plus représentatif de l'Égypte que le Plateau ne l'est du Québec profond.

L'Égypte, ce sont des millions de villageois illettrés, d'habitants de banlieues misérables, de jeunes garçons réduits au chômage le plus abject, de femmes maintenues dans l'asservissement. Un terreau fertile pour la propagande islamiste, y compris la plus extrémiste.

C'est ce terreau qui a produit, ces 20 dernières années, près d'une trentaine d'attentats terroristes extrêmement meurtriers, sans parler des récentes attaques contre les Coptes. L'organisation des Frères n'en était pas responsable, mais aussi récemment qu'en 2010, son guide spirituel suprême, Mohammed Badie, dans un prêche férocement antiaméricain et antisémite, faisait quand même l'éloge du djihad, «le seul moyen de restaurer la gloire de l'Islam» ...  

Même les «experts» chaussés de lunettes roses ne peuvent le nier: s'il y avait des élections libres (il y en aura un jour prochain, c'est sûr), les Frères musulmans devraient récolter un très grand nombre de sièges.

Ces dernières années, les Frères, qui jouent maintenant la carte électorale, se sont donné un look moderne (vêtements contemporains, barbe mince), de même qu'un discours plus modéré. Ils se cantonnent dans les généralités et évitent les questions sur la charia (que leur charte fondatrice, inchangée, veut instaurer).

L'un d'eux racontait récemment à un journaliste canadien que l'organisation est «islamiste» au sens où le parti d'Angela Merkel est «chrétien-démocrate»... (sic!) Disent-ils la même chose quand ils parlent en arabe à leurs condisciples?