Si l'Office de la langue française ne s'occupe pas de la qualité de la langue, qui donc le fera?

Si l'Office de la langue française ne s'occupe pas de la qualité de la langue, qui donc le fera?

C'est la question désespérante qui se posait, la semaine dernière, à la lecture d'une lettre collective que signaient, dans Le Devoir, neuf terminologues qui ont tous été à l'emploi de l'OLF. Ils s'opposaient au virage pris par l'institution, qui désormais ne suggère plus les termes corrects à utiliser, pour se contenter simplement d'enregistrer les mots en usage sans en juger la valeur.

C'est toute la différence, expliquent ces spécialistes, entre la démarche terminologique, qui préconise des normes, et la démarche lexicographique, qui se contente de décrire sans juger.

L'OLF, appliquant cette dernière approche, met donc sur le même pied les mots relevant du français correct et ceux qui sont fautifs bien qu'assez souvent utilisés. Ainsi, l'Office admet le vocable « liqueur » au sens de «boisson gazeuse», au mépris du fait que cette expression ne serait pas comprise où que ce soit dans la francophonie; partout en effet, «liqueur» ne désigne qu'une boisson à base d'alcool.

Dans la même optique, on accepte «cabaret» (pour plateau), «changement d'huile» (pour vidange), «curriculum» (pour cursus)... et la «chambre de bains» devient un synonyme acceptable de «salle de bains», alors que la majorité des Québécois utilisent de nos jours cette dernière expression, la seule correcte.

L'OLF, qui décidément aime bien s'attarder dans le passé rural, accepte de la même façon le mot «poêle» (pour cuisinière), alors qu'il y a des décennies qu'au Québec, la publicité et les médias utilisent le terme correct de «cuisinière», le «poêle» étant, rappelons-le, un appareil où l'on fait brûler du bois ou du charbon.

Nos ancêtres n'avaient pas d'autre façon de faire cuire les aliments, d'où le fait que le mot «poêle» a survécu, au Québec, à la disparition des «poêles à bois»... pour disparaître graduellement, au moins dans les milieux le moindrement éduqués, grâce justement aux efforts d'organismes comme l'OLF.

Hélas, on semble maintenant s'amuser à défaire l'acquis... Faudrait-il, pour plaire aux lexicographes, ramener la «clutch» ou le «dash» dans le vocabulaire de l'auto sous prétexte que ces mots subsistent encore dans la langue familière? Moi-même, il m'arrive de parler de la clutch plutôt que de la pédale d'embrayage, parce que ce mot me vient de l'enfance, mais je serais bien la première à me scandaliser de voir cet usage inscrit dans un dictionnaire français, serait-il voué au «français québécois».

Derrière cette évolution des pratiques de l'OLF, on retrouve évidemment la vieille querelle entre la norme et l'usage, entre ceux qui essaient d'améliorer la qualité de la langue et les linguistes qui s'inclinent devant n'importe quelle habitude populaire, et qui accusent les premiers d'«élitisme»... preuve qu'on n'a guère avancée depuis l'époque où les garçons qui essayaient de bien s'exprimer se faisaient traiter de «fifs».

Dans le cas du Québec, où le français reste une langue fragile dans un continent presque entièrement anglophone, l'approche descriptive contient des risques mortels, car elle sanctionne un lexique désuet et folklorique, de même que des anglicismes caractérisés (ainsi, «chambre de bain» vient de «bathroom»).

Cette approche nous éloigne encore davantage du reste de la francophonie, nous dépossédant ainsi graduellement de l'extraordinaire privilège dont nous avons hérité, celui de parler une langue qui reste, malgré la prédominance de l'anglais, une grande langue de dimension internationale.