Faut-il faire de la Libye un no-fly zone pour protéger les rebelles des bombardements du régime Kadhafi? La question, qui a agité la classe politique internationale toute la semaine, a quelque chose de saugrenu, car ceux qui voudraient agir ne le peuvent pas, et ceux qui pourraient agir ne le veulent pas!

Faut-il faire de la Libye un no-fly zone pour protéger les rebelles des bombardements du régime Kadhafi? La question, qui a agité la classe politique internationale toute la semaine, a quelque chose de saugrenu, car ceux qui voudraient agir ne le peuvent pas, et ceux qui pourraient agir ne le veulent pas!

Ainsi, les dirigeants français et britanniques sont favorables à l'idée d'imposer une zone d'interdiction de survol de la Libye. Mais les mots ne coûtent pas cher. Ni la France, ni la Grande-Bretagne, pas plus d'ailleurs que toutes les forces européennes combinées, n'ont les moyens de s'engager dans une opération aussi compliquée.

Qui peut oublier que l'Europe restait impuissante devant les massacres qui se produisaient sur son propre sol, dans l'ex-Yougoslavie... et qu'il a fallu la force de frappe aérienne des États-Unis pour y mettre fin?

Restent donc ces bons vieux Américains que l'on adore détester, mais qui sont bien commodes quand on a besoin de quelqu'un pour faire la sale besogne que personne d'autre ne peut assumer. Or, ces derniers, cette fois, se rebiffent... à bon droit.

Non seulement une action de ce type ne serait-elle pas entérinée par le Conseil de sécurité de l'ONU en raison des vetos russe et chinois, mais il s'agirait, comme le rappelait cette semaine le secrétaire à la Défense Robert Gates, d'une affaire extrêmement périlleuse.

Il faudrait commencer par une attaque aérienne massive sur la Libye pour détruire ses installations de défense. «Et puis après, poursuit M. Gates, on lâche nos avions au-dessus du pays, peu importe que nos gars se fassent tirer dessus.» Sans compter que des opérations militaires au sol s'imposeraient probablement.

Les États-Unis, déjà engagés au maximum en Afghanistan, ne se lanceront pas dans cette opération hasardeuse qui, loin de leur rapporter des lauriers, ne fera qu'intensifier leur image d'impérialistes. Bombarder un pays arabe, qui plus est producteur de pétrole, sans l'assentiment unanime du monde arabe, ce serait de la folie. Or il n'y aura jamais d'unanimité, tous les pays tenant à leur souveraineté.

Aujourd'hui la Libye, et après quoi ? On envahirait, en vertu du même «devoir d'ingérence», la Syrie, le Yémen, l'Arabie Saoudite, si jamais d'autres rébellions populaires y étaient réprimées? Et pourquoi pas la Chine, qui sera elle aussi, un jour, aux prises avec des soulèvements populaires massifs... auxquels le régime répliquera par les armes? Alors, on irait bombarder Pékin?

D'ailleurs, on notera que même les rebelles libyens sont opposés à une intervention militaire étrangère... à moins qu'elle ne vise que les pauvres bougres africains qui servent de chair à canon au régime ! Bref, les bombes étrangères seraient les bienvenues si elles ne massacraient que les Tchadiens et les Maliens!

On se demande comment il se trouve encore des gens pour envisager, après l'Irak et l'Afghanistan, de pareilles offensives. En fait, aux États-Unis, ce sont plutôt les républicains qui, fidèles à la doctrine Bush, s'en font les promoteurs. Cela n'est pas étonnant. Ce qui l'est davantage, c'est que cette idée du devoir d'ingérence fasse maintenant son chemin dans les milieux progressistes. Où l'on voit que les «droits-de-l'hommistes» ne sont pas si loin des néo-conservateurs de Bush qui voulaient introduire la démocratie par la force au Moyen-Orient...

Certes, le colonel Kadhafi est particulièrement détestable, mais Saddam Hussein n'était guère sympathique non plus. Pourtant, George W. Bush et Tony Blair faisaient rire d'eux quand ils prétendaient libérer les Irakiens d'une vilaine dictature. Pourquoi faudrait-il aujourd'hui leur emprunter une vision qui a déjà fait la preuve de son inanité?