La tragédie japonaise le montre éloquemment : le principe de précaution n'est pas appliqué partout de la même façon.

La tragédie japonaise le montre éloquemment : le principe de précaution n'est pas appliqué partout de la même façon.

Alors que les autorités japonaises évitaient tout alarmisme, et que, à l'autre extrême, la France rapatriait ses ressortissants dès le lendemain du séisme, suivie d'assez près par l'Allemagne et la Grande-Bretagne, les États-Unis ont attendu plusieurs jours avant de noliser des avions pour évacuer leurs citoyens.

Le Canada a la palme de la placidité: une semaine après le séisme, il avait nolisé deux... autocars. Et alors que les expatriés français étaient quotidiennement bombardés de courriels de leur ambassade, les Canadiens n'ont eu droit qu'à un message laconique.

La réaction réservée des autorités japonaises s'explique. S'il avait fallu brandir trop tôt la menace d'une contamination nucléaire, la ville de Tokyo, avec ses 12 millions d'habitants, aurait été en proie à la panique.

On ne sait pas encore le fin mot de l'histoire: les médias japonais ont-ils été trop rassurants? La société qui exploite les centrales a-t-elle retenu des informations cruciales? Est-ce plutôt l'Europe qui a sur-dramatisé?

Chose certaine, la France a été la championne du principe de précaution, en partie parce que 78% de son électricité provient du nucléaire. Mais il n'y a pas que ce facteur objectif. C'est une question de culture. Les États-Unis, qui comptent trois fois plus de centrales nucléaires que l'Hexagone, n'ont pas réagi avec autant d'effroi.

La France a même envoyé des stocks d'iode aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon, qui sont dans l'Atlantique! Terre-Neuve, à 25 km de Saint-Pierre, n'en a pas reçu, non plus que les résidants de la côte ouest des États-Unis et du Canada. Cela serait «une mesure excessive», juge-t-on en Colombie-Britannique, une région pourtant beaucoup plus exposée que Saint-Pierre-et-Miquelon.

La France est une abonnée perpétuelle au principe de précaution. Pour prévenir les noyades d'enfants, les propriétaires de piscines doivent les clôturer, le mécanisme d'ouverture de la porte devant être à l'épreuve des mains d'enfants. Ce qui se passe, c'est que les parents oublient de verrouiller la porte, ou alors que les enfants, pas si bêtes, trouvent le moyen de l'ouvrir. Le plus simple ne serait-il pas d'inciter les parents à surveiller leurs enfants?

Dans le métro de Paris, on commence à bâtir, le long des quais, d'impressionnantes barrières de métal qui s'ouvrent en même temps que les portes des wagons. Cet investissement coûteux qui risque, comme tout appareillage électronique, de subir des bris qui entraîneront des retards de service, a pour but de prévenir les suicides et d'empêcher qu'un passager soit poussé sur les rails. Mais combien de fois par décennie de tels incidents se produisent-ils? Ne faudrait-il pas, tant qu'à y être, recouvrir tous les ponts d'une bâche métallique pour empêcher les suicidaires de se noyer?

La France craint comme la peste les OGM, presque partout acceptés. Depuis l'ouragan Xinthia, les zones inondables les moins à risque sont interdites de construction. Ce sont des CRS (des troupes d'élite normalement vouées à des missions dangereuses) qui surveillent les plages - une tâche que l'on confie, chez nous, à des étudiants formés en natation et en sauvetage. C'est sans compter les multiples précautions auxquelles les services de santé français recourent pour des affections bénignes.

Le Québec, ayant la chance inouïe de bénéficier de l'énergie hydroélectrique, est resté calme devant la catastrophe japonaise, mais on peut supputer que si nous avions plusieurs centrales nucléaires plutôt qu'une seule, nous aurions réagi comme les Français, à qui nous avons emprunté depuis quelques années le culte immodéré du principe de précaution.

Nos ancêtres, fils d'intrépides colons français, étaient des explorateurs qui n'avaient peur de rien. Les temps changent...