Le premier ministre a fini par s'excuser, mais ces excuses tardives, consenties de mauvais gré, ne changent rien.

J'ai été sidérée d'apprendre que le Parti conservateur vérifie les antécédents des gens qui veulent assister à ses assemblées publiques. Sidérée d'apprendre que ce parti exige que l'on s'inscrive à l'avance et que l'on décline son identité pour y être admis.

Et enfin, scandalisée d'apprendre que la GRC a prêté main-forte aux militants conservateurs dans ces vérifications abusives. Les agents de la GRC n'ont qu'un rôle durant une campagne électorale, c'est de protéger l'intégrité physique des chefs de partis auxquels ils sont affectés. Il est inadmissible que des policiers aient participé à des sélections partisanes.

J'ai couvert beaucoup de campagnes électorales et assisté à d'innombrables assemblées partisanes. Jamais je n'ai vu pareil dispositif de sécurité.

Certes, les agents des partis ouvraient l'oeil pour dépister le trouble-fête potentiel, mais jamais l'on allait jusqu'à relever l'identité des personnes qui se présentaient à la porte, encore moins jusqu'à exiger qu'elles s'inscrivent à l'avance!

Tous les partis - tous, sans exception, y compris le Parti conservateur pré-Harper et y compris le Parti libéral de Jean Chrétien, un homme qui n'était pas tendre pour ses contradicteurs - tous les partis, donc, tenaient des assemblées ouvertes à tous, ce qui correspond à la définition d'une assemblée publique. C'est d'ailleurs, à ce qu'on sache, la pratique dans les autres partis engagés dans cette campagne-ci.

Rappelons les faits. Une étudiante de 21 ans, Joanna McDonald, s'est vu refuser l'accès à une assemblée à Guelph parce qu'elle milite dans des organisations environnementales. À London, une autre étudiante, Awish Aslam, a subi le même sort parce que les «enquêteurs» du PC avaient repéré sa page Facebook où elle apparaissait aux côtés de Michael Ignatieff! D'autres étudiants ont été rejetés pour des raisons analogues.

Stephen Harper était déjà connu comme le pire «control freak» que l'on ait jamais vu à l'oeuvre au Canada. Ses ministres sont muets, ses hauts fonctionnaires incapables de bouger sans autorisation du bureau du premier ministre, les informations les plus anodines sont diffusées au compte-gouttes après avoir été filtrées en haut lieu.

Ce comportement, incongru dans un pays démocratique, vient d'atteindre un sommet. Filtrer le public à la porte d'une assemblée publique? C'est le comble de la paranoïa. M. Harper est-il si peu sûr de lui et si craintif de l'opinion qu'il lui faut faire campagne dans une bulle?

Les journalistes ont tenté d'avoir des explications. Les réponses ont été soit évasives, soit carrément comiques. Un porte-parole a expliqué gravement qu'au PC, les assemblées sont plus surveillées parce qu'elles mettent en vedette un premier ministre. Allons donc!

J'ai vu tous les premiers ministres qui se sont succédé à Ottawa depuis Pierre Elliott Trudeau prendre la parole dans des assemblées partisanes, et ce, souvent dans des périodes bien plus «chaudes» qu'aujourd'hui. Aucun d'eux n'a ressenti le besoin de s'entourer de pareils barrages. Ils étaient capables de supporter l'idée qu'un quidam puisse les interpeller de la salle. Le quidam se faisait sortir manu militari et c'était tout.

M. Harper et son fidèle Dimitri Soudas ont tenté de nous faire croire que s'ils procèdent à des vérifications, c'est parce que les assemblées conservatrices sont si courues qu'il faut sélectionner les auditeurs.

«Mieux vaut refuser des gens que de ne pas être capable d'en attirer», s'est exclamé M. Harper. C'était une réponse indigne. Il y a de quoi se demander ce que donnerait un gouvernement majoritaire animé d'une pareille mentalité.