Vous vous intéressez, serait-ce de loin, à la politique française? Allez vite voir La Conquête, qui vient d'atterrir sur nos écrans: 105 minutes de pur régal.

Ce film biographique de Xavier Durringer retrace la conquête de l'Élysée par Nicolas Sarkozy, au moment même où son mariage s'effrite. Les événements se passent durant les cinq années précédant l'élection présidentielle de 2007.

Normalement, je me méfie des biopics mettant en scène des personnalités encore vivantes: c'est un mélange des genres bien dangereux. Mais La Conquête est une réussite. Le scénario, remarquablement documenté, correspond à la réalité. Quant aux dialogues imaginés, ils sont d'une justesse étonnante, collant parfaitement à ce que l'on sait des personnages.

C'est drôle, enlevé, ironique et touchant, et les dialogues sont d'une finesse remarquable. Les tête-à-tête entre Jacques Chirac et Dominique de Villepin, entre autres, sont des pièces d'anthologie, et les jeux de coulisses sont magistralement rendus, les protagonistes rivalisant d'intelligence politique, de férocité verbale et de pur cynisme. On en redemanderait.

Et les acteurs! Ils se sont glissés dans la peau de leurs personnages avec une habileté stupéfiante. Il y a, dans chaque cas, une certaine ressemblance physique, mais aucun n'est le sosie de son personnage. C'est l'art de l'interprétation qui fait toute la différence.

De tels exploits sont rares. On pense à la performance de Colm Feore, qui incarnait Pierre Trudeau dans une biopic de la CBC, en 2002. Feore n'avait pas les traits de Trudeau, mais il avait si profondément intégré le personnage que l'on voyait revivre sous nos yeux l'ancien premier ministre. Helen Mirren a relevé le même défi dans le rôle de la reine Élisabeth, dans l'excellent The Queen de Stephen Frears.

Ainsi en est-il de Denys Podalydès, que l'on connaissait déjà comme l'un des meilleurs acteurs de cette décennie. Il a réussi le tour de force de devenir Sarkozy, dont il a capté non seulement les tics, la démarche, la voix et les gestes, mais aussi la personnalité profonde, qu'il recrée dans toute sa complexité. Cette interprétation brillante et sensible fait en sorte que Sarkozy, qui aurait pu être mis en pièces ou bêtement caricaturé par des gens de moindre talent, est décrit comme un être humain, avec ses vulnérabilités, ses immenses défauts et ses immenses qualités.

Là est la raison, du reste fort peu glorieuse, du demi-échec du film en France, où La Conquête a eu des rentrées décevantes. Les sympathisants socialistes, qui grosso modo forment plus de la moitié du public cinéphile, ont vite compris, par les critiques, que le film dépeignait Sarkozy de façon plutôt sympathique et ont refusé d'aller le voir, ce qui est bien le comble de la «partisanerie». Dommage pour eux, car ils se sont privés d'un excellent spectacle.

Le président de la République, qui n'était intervenu d'aucune façon dans le processus et n'avait même pas demandé à voir le film avant sa projection à Cannes, a reçu cet été Podalydès à déjeuner à l'Elysée, signe qu'il ne s'est pas senti trahi même si Durringer a exposé sans paravents ses faiblesses, de ses emportements irrationnels à son appétit compulsif et enfantin pour les chocolats. N'importe. Les «vilains» du film, ce sont Chirac, roué et comploteur, et le vaniteux de Villepin, aussi louvoyant que Sarkozy est direct.

Plus encore qu'un récit sur Nicolas Sarkozy et le petit monde de l'UMP, La Conquête est un film sur l'ambition. Il nous montre les ravages de l'ambition sur l'intimité d'un couple, mais aussi la beauté de l'ambition, cette pulsion puissante qui pousse les hommes à se dépasser.