Paradoxe: alors qu'on a toutes les raisons de craindre que le «printemps arabe», salutaire sous d'autres aspects, entraîne un recul de la condition des femmes en Égypte, en Tunisie et en Libye, une petite lumière vient de s'allumer là où on l'attendait le moins: en Arabie Saoudite!

Le vieux roi Abdullah vient en effet d'accorder le droit de vote aux femmes aux élections municipales, où elles pourront en outre se présenter. Et elles seront admises au Shura, le conseil consultatif qui avise la monarchie sur les politiques publiques.

C'est une toute petite avancée, mais elle n'est pas négligeable, dans ce pays qui emprisonne les femmes sous leurs voiles et leur interdit non seulement de prendre le volant mais de sortir sans être accompagnée d'un homme.

La concession du roi Abdallah, qui malgré ses 87 ans représente la branche réformiste de la famille royale, s'inscrit dans le contexte du printemps arabe. La monarchie saoudienne, même si elle est à l'abri des révolutions grâce à la manne pétrolière qu'elle peut déverser sur sa population, est quand même atteinte par le vent de changement.

De plus en plus de Saoudiens réclament que les membres de la Shura soient élus plutôt que nommés. En annonçant l'entrée des femmes à ce conseil, la monarchie tente de se donner le beau rôle et de contourner la revendication démocratique.

Même si tout reste à faire en Arabie Saoudite, l'octroi du droit de vote reste un puissant symbole... lequel est survenu bien plus tard qu'on ne le croit communément, même dans nos sociétés progressistes: ce n'est qu'en 1941 que les Québécoises ont obtenu le droit de vote aux élections provinciales, et les Françaises ont dû attendre quatre ans de plus avant de déposer leurs bulletins dans l'urne.

Paradoxalement, on peut craindre que les fruits du printemps arabe seront doux-amers pour les Tunisiennes, les Égyptiennes et les Libyennes. Dans la meilleure des hypothèses, elles vivront dans des sociétés moins corrompues et mieux gérées, où seront respectées la liberté de parole et certaines règles de droit, mais en tant que femmes, leur sort risque d'être plus difficile que sous les régimes plutôt laïcs des ben Ali, Moubarak et Kadhafi.

Les Tunisiennes étaient depuis longtemps les femmes les plus «libérées» du monde arabe. Sous Moubarak, les Égyptiennes jouissaient de plus de droits que jamais auparavant. Sous Kadhafi, les Libyennes ne se voilaient pas et avaient un statut d'égalité à l'école et au travail.

Les choses changeront à mesure que les islamistes, que les anciens dictateurs réprimaient férocement, participeront au pouvoir. Ils constituent partout la seule force politique organisée, et même s'ils optent pour un islamisme relativement modéré, la charia sera partout à la source de la législation. Les islamistes tiendront à assumer le pouvoir au moins dans leur domaine privilégié, celui de la morale publique et des moeurs familiales.

Comme disait plaisamment l'un des nouveaux dirigeants de la Libye pour démontrer sa bonne foi démocratique, «nous ne lapiderons pas les femmes adultères, il suffira de les envoyer en prison».

Le chef du futur gouvernement libyen, Moustapha Abdeljalil, a beau se présenter comme un modéré, il porte tout de même au front la marque de piété, la callosité induite par le fait de s'être prosterné pendant des années, front contre terre, cinq fois par jour. (On l'a vu, à la télévision française, interrompre brusquement une interview parce que c'était l'heure de la prière; il s'est alors tourné contre le mur faisant face à La Mecque.)

Autrement dit, si elles resteront incomparablement mieux traitées que les Saoudiennes, les femmes du «printemps arabe» risquent de subir un recul de leurs droits.