On parle beaucoup des firmes de génie-conseil, ces temps-ci. On devrait peut-être aussi s'interroger sur l'influence qu'ont les grandes compagnies pharmaceutiques sur les décisions gouvernementales.

Deux cas récents démontrent la légèreté de nos gouvernements, qui engagent des fonds publics considérables dans des produits dont l'administration bénéficie davantage aux compagnies pharmaceutiques qu'à la population.

Premier cas: la campagne de vaccination des filles du secondaire 3 et 4 contre le virus du papillome humain, une opération amorcée en 2008 au coût de 16 millions$ par année. D'aucuns la jugent inutile, car ce vaccin ne protège que contre deux des dix souches du VPH.

«Même si 75% des femmes sexuellement actives seront infectées par le virus, déclarait récemment à La Presse Abby Lipman, épidémiologue à McGill, dans 90% des cas, ça disparaît sans laisser de trace.»

Plusieurs experts estiment que la meilleure prévention contre le cancer du col de l'utérus (80 cas mortels au Québec, comparativement à 1300 morts par cancer du sein) reste le test de Papp, un test qui fait partie du contrôle médical annuel. On reproche aussi à cette campagne de vaccination d'engendrer chez les jeunes filles un sentiment de sécurité trompeur et de leur faire oublier que le condom reste le meilleur moyen d'éviter les diverses infections transmises par le VPH.

Le gouverneur du Texas et aspirant à la candidature républicaine, Rick Perry, a lui aussi lancé une campagne de vaccination contre le VPH - une initiative surprenante, venant d'un ultra-conservateur... mais qui s'explique mieux quand on sait que la compagnie Merck, qui fabrique le vaccin, a versé 30 millions à sa campagne électorale.

La Presse dévoilait récemment que cinq des médecins à l'origine de la campagne de vaccination au Québec, incluant la gynécologue qui participe à la promotion de la campagne comme conseillère médicale, ont déjà été rémunérés à titre de chercheurs ou de conférenciers par Merck Frosst et GlaxoSmithKline, les compagnies qui fabriquent les deux vaccins administrés par Québec.

Le second cas concerne le remboursement, par la plupart des programmes d'assurance-maladie des provinces (dont la RAMQ), du Lucentis, un médicament destiné à combattre la forme humide de la dégénérescence maculaire qui est extrêmement coûteux (1575$ par injection), alors qu'il existe un produit aussi efficace, l'Avastin, qui coûte... 7$ l'injection.

Le hic, c'est que, comme l'expliquait récemment André Picard, le chroniqueur de la santé publique du Globe and Mail, la compagnie Roche-Genentech, qui fabrique les deux produits, et son distributeur Novartis, n'ont demandé l'aval de Santé Canada que pour le Lucentis. Pourquoi engager des frais pour faire approuver officiellement un médicament bon marché, quand on peut faire fortune en en vendant un qui coûte plus de 200 fois plus cher?

Pourtant l'Avastin est couramment utilisé partout. Aux États-Unis, on recense quelque 936 000 traitements annuels à l'Avastin (coût: 40 millions), contre 700 000 au Lucentis (coût: 1,1 milliard). Depuis 2006, plusieurs hôpitaux montréalais, dont le CHUM, Maisonneuve-Rosemont, le Jewish General et le Royal Victoria, traitent la dégénérescence maculaire par l'Avastin, mais cela n'empêche pas les ophtalmologistes d'injecter du Lucentis dans leurs bureaux, à des coûts faramineux pour la RAMQ.

Des études du National Institute of Health, publiées dans le New England Journal of Medicine en mai 2011, confirment que les deux médicaments sont de valeur égale, la principale différence étant que Roche a «manipulé l'offre» en empaquetant le Lucentis dans des formats plus adaptés à l'injection dans l'oeil. (L'Avastin, à l'origine, était utilisé pour le traitement de certains cancers).

Ces deux cas soulèvent, à tout le moins, des questions. Surtout au moment où l'on manque d'argent pour financer les services de santé.