C'est demain que les chefs d'État européens se rencontrent une «nième» fois, dans ce qui semble devoir être la réunion de la dernière chance, pour s'entendre sur les modalités d'un gigantesque plan de sauvetage de l'euro.

Aujourd'hui, en effet, c'est la Grèce qui plombe l'Europe, mais demain ce pourrait être le cas de toute l'Europe du Sud - Italie, Espagne, Portugal et même la France -, qui vit depuis des années au-dessus de ses moyens. On comprend l'irritation des pays du Nord, l'Allemagne au premier chef, qui voient les fruits d'une gestion prudente s'envoler vers les cigales méditerranéennes.

Le cas de la Grèce est emblématique. Comment un si petit pays a-t-il pu en arriver à un déficit qui se chiffre à plus de 30 milliards d'euros?

Dans Boomerang: Travels in the New Third World, Michael Lewis, un journaliste financier renommé, fournit deux réponses : mauvaise gouvernance et corruption. On s'en doutait. Mais il est intéressant de voir jusqu'où ont pu aller l'inconscience et l'irresponsabilité. Des extraits de son livre publiés la semaine dernière dans le Globe and Mail en donnent une idée qui vous fait dresser les cheveux sur la tête... et vous console (un peu) de notre corruption «made in Quebec» sans commune mesure avec le modèle grec.

Dans les dernières 12 années, les salaires du secteur public ont plus que doublé, et cela, précise Lewis, ne comprend pas les pots-de-vin empochés régulièrement par les employés de l'État... pourtant trois fois mieux rémunérés que les travailleurs du secteur privé.

La compagnie nationale des chemins de fer dépense chaque année 700 millions d'euros, pour des revenus de... 100 millions, l'employé moyen étant payé 65 000 euros (quelque 80 000$). Il en coûterait moins cher de payer le taxi à tous les Grecs qui prennent le train!

Le système scolaire grec est l'un des moins performants en Europe, mais il emploie quatre fois plus d'enseignants que l'excellent système finlandais.

L'âge de la retraite est de 50 ans pour les femmes (55 ans pour les hommes) qui occupent des emplois dits «pénibles». A force de magouilles, 600 professions ont réussi à se faire classer dans cette catégorie... y compris les coiffeurs, les serveurs de restaurant, les musiciens et même les annonceurs de radio!

Surprise, les grands coupables ne sont pas les banquiers, qui, selon Lewis, ont été plutôt irréprochables. Ils n'ont pas acheté d'actions toxiques, et ne se sont pas accordé d'indécents bonus. Le tort des banques est d'avoir prêté 30 milliards d'euros au gouvernement grec, qui les a volés ou gaspillés.

Dans ce pays qui jusqu'à tout récemment n'avait pas d'institut de statistique indépendant et dont la situation budgétaire échappait à l'oeil du public, la très grande majorité des gens ne paient pas d'impôt.

Les richissimes armateurs font sans doute ce que leurs copains milliardaires font ailleurs, c'est-à-dire qu'ils s'organisent pour ne rien payer. Mais en Grèce, la principale vache à lait des gouvernements modernes - la classe moyenne - échappe elle aussi à l'impôt. On travaille au noir... et l'on s'en tire parce que c'est dans les moeurs et qu'il n'y a personne pour vous surveiller. Les années d'élections, les inspecteurs du revenu sont priés de rester chez eux!

La source de la crise de l'euro va bien au-delà du cas de la Grèce. L'Europe est malade. Malade d'avoir intégré trop rapidement des États dont la culture politique et le niveau de vie n'étaient pas à la hauteur de l'Europe de l'Ouest. Malade de s'être donné prématurément une monnaie commune, sans avoir par ailleurs établi de politique monétaire commune. Mais il faut sauver ce grand malade...