Après avoir forcé, à coup de cajoleries et de promesses venteuses, les gouvernements à investir dans l'aventure ratée du Musée Juste pour rire, Gilbert Rozon vient d'accoucher d'une autre idée pour sauver Montréal: en faire la cité du «fun», où les bars ne fermeraient qu'à 6 h du matin.

On dit le maire Tremblay réceptif à cette idée, mais cela ne veut pas dire grand-chose. A-t-on déjà vu M. Tremblay ne pas être réceptif à une idée? Cet homme ne sait pas dire non, c'est son grand problème (et le problème de sa ville par ricochet).

Bien sûr, il y a des endroits où les bars ouvrent toute la nuit. Mais faut-il vraiment prendre Atlantic City pour modèle? La plupart des métropoles qui ont de la classe trouvent autre chose pour attirer les touristes que de les faire boire jusqu'à 6 h du matin. À Paris, les bars ferment autour de 2 h; à New York, métropole pourtant fort libérale, et même à Las Vegas, à 4 h. En Grande-Bretagne, patrie du «binge drinking», les pubs ferment quand bon leur semble... non pas au nom du plaisir, mais pour limiter les nuisances produites par des masses de clients ivres morts se retrouvant tous en même temps dans la rue.

Si l'on en croit M. Rozon, qui a présidé une commission sur la revitalisation du tourisme au Québec, Montréal devrait se donner comme «marque» (the brand!) d'être la cité du plaisir - «The Fun City». Un petit Las Vegas North. Et tant pis pour les musées, le cinéma, la musique, le design, la mode, la gastronomie, tout ce qui, au contraire de la bière, rehausserait le cachet culturel de Montréal.

Demandons-nous plutôt si le touriste alléché par l'idée de boire toute la nuit est vraiment le genre de touristes que l'on veut attirer à Montréal.

Comme l'écrivait récemment Henry Aubin, le chroniqueur municipal de la Gazette, cette politique ferait l'affaire des propriétaires de bars et du gouvernement : plus de profits et plus de taxes, sans parler des vendeurs de drogues dont les bars sont le principal marché. Elle permettrait l'étalement de la sortie des bars - toujours une affaire bruyante, surtout en fin de semaine. Mais là s'arrête la liste des bénéfices.

Le prolongement des heures d'ouverture des bars accroîtrait la consommation d'alcool et de drogues, c'est l'évidence même. De plus en plus de gens ivres ou drogués prendraient le volant à l'heure où «les gens qui se couchent tôt» sont sur la route pour aller au travail.

Le quadrilatère du «fun» proposé par Rozon est énorme, il va des rues Papineau à Guy, et des rues Sherbrooke à René-Lévesque. Il comprend notamment trois universités et plusieurs cégeps et écoles professionnelles, donc des milliers d'étudiants qui, à leur âge, ont assez d'énergie pour rester debout toute la nuit. Est-ce une bonne idée que de leur offrir sur un plateau d'argent la «chance» de s'enivrer plus longtemps et d'acheter davantage de drogues?

Le quadrilatère ciblé par Rozon est de plus en plus résidentiel, car on y construit nombre d'immeubles de condos - ce qui est une excellente chose car le centre-ville doit être densifié. Va pour le Village gai, mais ce n'est pas en y multipliant les beuveries qu'on attirera des couples et des familles dans le centre de Montréal. Les habitants du centre-ville tolèrent très bien l'agitation nocturne, qui fait une partie du charme d'une zone métropolitaine, mais il doit y avoir une limite, et celle de 3 h fait très bien l'affaire.