Parce qu'elles sont survenues à quelques jours d'intervalle, les nominations d'un juge unilingue à la Cour suprême et celle d'un vérificateur général unilingue ont déclenché, en quelque sorte, une double vague d'indignation.

Pourtant, les deux cas sont fort différents: l'une des nominations était discutable mais acceptable, tandis que l'autre était carrément inacceptable.

Commençons par la nomination de Michael Ferguson, qui n'a jamais trouvé le moyen d'apprendre le français même s'il a longtemps travaillé dans la seule province officiellement bilingue du pays (le Nouveau-Brunswick).

Contrairement aux juges de la Cour suprême, qui n'entrent que rarement en relation avec les citoyens, M. Ferguson devra rendre des comptes au parlement dont il est un officier, de même qu'aux contribuables. Il devra expliquer son rapport aux journalistes et répondre à leurs questions. Il devrait être bilingue, comme d'ailleurs le stipule la description officielle de sa tâche.

Autre différence par rapport au cas des juges de la Cour suprême qui, ceux-là, doivent être recrutés au mérite dans un bassin relativement étroit, il n'aurait pas été si difficile de trouver, pour le poste de vérificateur général, un candidat bilingue répondant aux autres exigences.

Car au fond, de quoi avait-on besoin? D'un comptable agréé d'expérience, avec de solides connaissances en finances publiques ou la capacité de s'initier rapidement à ce domaine, et qui soit en outre doté d'un bon jugement et d'une intégrité indiscutable. Il se trouvait sûrement plus d'un candidat qualifié au Canada, même s'il faut reconnaître que M. Ferguson, sur le plan technique, avait une bonne longueur d'avance, ayant été vérificateur général au niveau provincial. (Le gouvernement Harper avait auparavant tenté de recruter celui du Québec, Renaud Lachance, mais ce dernier a décliné).

L'élévation à la Cour suprême est une tout autre question. On parle ici d'une ultime cour d'appel, au sens où les juges travaillent principalement sur de la matière écrite et entendent les représentations des avocats plutôt que celles de justiciables ordinaires. La Cour a ses traducteurs juridiques et ses décisions sont publiées dans les deux langues. Comme elles sont sans appel, les juges n'ont pas à les justifier devant l'opinion publique.

Or, compte tenu de l'importance de la Charte sur la législation, tous les citoyens, y compris les francophones, ont intérêt à ce que la composition de la Cour soit soumise à des critères extrêmement exigeants, sans compter qu'on doit également assurer une représentation régionale, comme le décrit ci-contre Me Guy Pratte.

Imposer le bilinguisme comme critère obligatoire aurait pour effet de disqualifier automatiquement les candidats des provinces de l'ouest, d'autant plus que la complexité des enjeux exige une connaissance fort poussée de l'autre langue.

Certes, dans un monde idéal, tous les juges devraient être de «parfaits bilingues» mais le Canada est ce qu'il est: un pays très majoritairement anglophone où la population à l'ouest du Manitoba n'a que rarement été exposée à la langue française. Ce n'est que dans un Québec indépendant que l'on pourrait avoir une Cour suprême où tous les juges sans exception parleraient très bien français.

L'important, c'est que les gouvernements s'assurent qu'une forte majorité des membres de la Cour suprême soient bilingues, ce qui est du reste, actuellement, le cas de sept juges sur neuf, incluant la juge en chef Beverley McLachlin.

Le NPD a mené là-dessus une lutte épique, à coup d'arguments assez simplistes. Cette considération pour la langue française était bien sympathique, mais l'aurait été davantage si le NPD, mettant en pratique ce qu'il prêchait au parlement, s'était abstenu de présenter au Québec une brochette de candidats qui ne parlaient pas un mot de français. Si l'on parle de mépris, c'est là qu'il était, pas à la Cour suprême.