Le taux de criminalité diminue. Donc, sévissons encore davantage contre le crime!

L'illogisme du gouvernement Harper défie l'entendement. Hélas, l'absurde projet de loi C-10, calqué sur les politiques répressives des États-Unis (qui détiennent le record mondial de l'emprisonnement), sera bientôt la loi du pays. Il y a, dans cette obstination qui va à l'encontre de l'évidence statistique, de l'aveuglement idéologique, c'est sûr. Il s'y trouve aussi un petit calcul électoral assez minable, dont on a tort de croire qu'il ne vise que les «rednecks» de l'Ouest. Disons-le tout net, la répression du crime - même quand il s'agit de petits méfaits comme la vente de pot ou d'ecstasy - est un thème populaire. Populaire partout au Canada, et, contrairement à une solide idée reçue, populaire au Québec également. Le sondeur Jean-Marc Léger affirmait en octobre dernier, sur la foi d'une enquête réalisée par sa firme, que 79% des Québécois souhaitaient que notre système de justice soit plus sévère; 77% estimaient que les crimes ne sont pas assez sévèrement punis au Canada. Et 41% des répondants souhaitaient que les jeunes contrevenants soient jugés comme des adultes... Voilà qui montre que le Québec n'est pas aussi «distinct» du reste du Canada qu'on le prétend. La soif de vengeance est un sentiment hélas fort répandu. Revenons à la baisse du taux de criminalité. Pourquoi donc a-t-on plus peur du «crime» qu'auparavant? Ce paradoxe prend tout entier sa source dans le vieillissement de la population. La criminalité diminue parce que la catégorie sociale qui est à la source de la plupart des crimes violents - les jeunes hommes - a diminué au rythme du déclin de la natalité. Or, pour la même raison, soit parce que la population vieillit, les gens ont de plus en plus peur d'être victimes d'un acte criminel et sont de plus en plus hostiles aux déviances. Plus on vieillit, plus on se sent vulnérable, plus on a peur de se faire arracher son sac ou de voir sa maison cambriolée, plus on s'irrite de voir des jeunes fumer un joint au coin de la rue. Ce n'est pas le cas de tout le monde (ce n'est certainement pas le mien), mais je crois que ma théorie se tient et que nombre de gens deviennent plus intolérants en vieillissant. C'est en tout cas le seul facteur objectif qui puisse expliquer ce monstrueux illogisme qui pousse une société à souhaiter plus de répression à l'heure même où la répression est de moins en moins nécessaire, et alors que nos voisins du sud, au Texas par exemple, sont en train de réaliser les immenses dégâts qu'a produits leur frénésie d'emprisonnements. Le projet de loi C-10 aura des résultats catastrophiques non seulement sur les budgets des provinces, comme le disaient fort bien le ministre Jean Marc Fournier et le premier ministre ontarien Dalton McGuinty, mais aussi sur le tissu social. Jusqu'ici, les juges utilisaient leur bon sens dans les cas de méfaits, et s'abstenaient de ruiner la vie de petits délinquants en leur collant un dossier judiciaire assorti d'une peine de prison. Ils seront dorénavant tenus d'imposer une sentence minimale à des jeunes coupables de «crimes» non violents reliés à la drogue. On n'envoie pas impunément un individu derrière les barreaux. Toute peine d'emprisonnement génère une cohorte de maux sociaux - pertes d'emploi, abandon des études, divorce, dislocation familiale - sans compter que loin d'encourager la réhabilitation, elle risque de transformer un délinquant en criminel. Il ne reste qu'à souhaiter qu'une partie de la majorité conservatrice, au sénat, se dissocie du gouvernement et bloque ce projet de loi aberrant.