Il y a des batailles qu'il ne vaut pas la peine d'engager. La croisade du gouvernement du Québec en vue de récupérer les données québécoises du (bientôt défunt) programme d'enregistrement des armes d'épaule est peut-être de celles-là.

C'est jeter l'argent des contribuables par les fenêtres que de se lancer dans une contestation judiciaire qui, au pire, n'aboutira à rien puisque le gouvernement Harper a de toute façon l'intention de détruire les données, et qui, au mieux, ne servirait qu'à récupérer des données fautives et incomplètes pour ensuite retomber dans les mêmes écueils qui ont miné l'entreprise fédérale.

Si le Québec héritait des données du registre fédéral, que se passerait-il?

Comme me l'écrit un lecteur bien au fait du sujet mais lié par un devoir de réserve, «il ne suffirait pas de mettre les données dans un ordinateur. Il faudrait créer de toutes pièces une bureaucratie pour gérer et maintenir ce registre à jour. Pas question de récupérer les fonctionnaires fédéraux, qui sont basés à Miramichi (Nouveau-Brunswick). Il faudrait des bureaux, une structure administrative, des fonctionnaires, des ordinateurs, des logiciels, des formulaires, une loi pour encadrer tout ça, un système de collecte d'information et d'enregistrement... bref, tout ce qui a fait que le programme a coûté deux milliards au Canada.».

À quoi l'on pourrait ajouter qu'il est pour le moins illusoire pour une province de se donner un registre, alors qu'il n'y a pas de frontière entre les provinces!

Les armes, tout comme les personnes, circulent librement à travers le Canada, et rien n'empêchera que des armes «non québécoises», c'est-à-dire non inscrites dans cet hypothétique registre, entrent au Québec.

Mon informateur soupçonne le ministre de la Sécurité publique Robert Dutil d'enfourcher ce cheval de bataille pour des motifs purement électoraux (cette affaire est activée par un lobby qui joue sur l'émotion légitime engendrée par la tuerie de Poly)... tout en souhaitant en son for intérieur ne pas avoir à hériter de ces données.

Le gouvernement fédéral fait-il preuve de mauvaise volonté en voulant détruire les données dont une province voudrait se servir? Pas nécessairement.

On le sait, le gouvernement Harper abolit ce programme pour des raisons idéologiques et électorales qui sont parfaitement contestables, mais il a au moins une raison valable: la constitution du registre, tâche fort compliquée au départ, a fait l'objet de multiples cafouillages - d'où le fait que les coûts, évalués initialement à deux millions, ont été multipliés par mille... tout cela pour un registre dont les données manquent de fiabilité.

On voit mal pourquoi Québec s'entêterait à récupérer un matériel truffé d'erreurs et d'omissions.

Les corps policiers auraient voulu conserver le registre, qui leur sert à déterminer, par exemple, s'il y a des armes à l'adresse où un crime a été commis ou se prépare. Mais si beaucoup de données sont erronées, et si toutes les armes ne sont pas dûment enregistrées, cela ne risque-t-il pas d'induire la police en erreur?

Par ailleurs, les opposants au registre soutiennent que le Canada a déjà une loi très contraignante sur les armes à feu et que pratiquement, ce registre ne sert qu'à étiqueter d'honnêtes citoyens comme des meurtriers en puissance.

Quoi qu'il en soit, la destruction d'un registre qui malgré ses failles a tout de même le mérite d'exister, et dont on peut présumer (sans qu'on le sache précisément) qu'il a peut-être sauvé des vies est certes regrettable. Il faut pourtant s'y résigner: ce gouvernement est majoritaire et il n'a jamais caché ses intentions.

La constitution d'un registre de portée exclusivement provinciale serait probablement un prix de consolation illusoire en l'absence de contrôles frontaliers.