À la page 10 du calendrier 2010-2011 du Théâtre français du Centre national des arts, on trouve une photographie de figurines dans un parc. Scène typique de bonheur enfantin: une fillette saute à la corde, un garçon joue avec son chien. Sur un banc public, un homme montre à un enfant son voilier miniature. Détail: sa braguette est grande ouverte. En arrière-plan, des orignaux copulent.

Le reste du calendrier est à l'avenant: 18 tableaux vivants, tous plus subversifs les uns que les autres, mettant en scène des personnages démembrés, pendus ou brûlés vifs, des enfants ensanglantés ou léchant des langues restées collées au mât gelé d'un drapeau canadien.

L'artiste manitobaine de réputation internationale Diana Thorneycroft s'est jouée avec un humour noir joyeusement décalé des symboles du patriotisme canadien dans deux récentes séries, The Canadiana Martyrdom Series et Group of Seven Awkward Moments, ayant servi à illustrer le calendrier promotionnel du théâtre dirigé par Wajdi Mouawad.

En page couverture, une figurine de Wayne Gretzky, maculée de sang et enchaînée à un arbre tel Jésus sur sa croix, est entourée de félins dévorant des restes humains. Ailleurs, un agent de la GRC, dénudé, porte secours à son amant transi, Don Cherry sourit au massacre d'un joueur de hockey et des bûcherons tronçonnent des totems, sous l'oeil amusé de castors.

Mars: Bobby Orr se noie dans un lac mal gelé en voyant Guy Lafleur marquer un but. Avril: un homme portant un chandail au célèbre slogan publicitaire «I am Canadian» est condamné au bûcher en plein marché public. Mai: Bob et Doug Mackenzie (du film-culte Strange Brew) s'enivrent pendant qu'Anne de la maison aux pignons verts offre ses seins, fraîchement sectionnés, sur un plateau d'argent.

Métaphores caustiques aux antipodes des élans folkloriques des Jeux de Vancouver. J'ai d'ailleurs ri presque autant en découvrant les détails sordides de ces tableaux mariés à la thématique de la saison théâtrale, «Le kitsch nous mange», que lors des cérémonies d'ouverture et de clôture des J.O.. Pour d'autres raisons, s'entend.

Depuis que j'ai reçu ce calendrier, il y a 10 jours, j'anticipe la réaction, éminemment prévisible, de la police montée des bonnes moeurs. On n'envoie pas un outil promotionnel ainsi détourné de son sens (pratique, familial et décoratif) à 3000 abonnés et journalistes sans s'attendre à un ressac. Pas en ces temps de rectitude politique symptomatique, dans la capitale d'un pays tout juste remis d'un délire patriotique, dirigé par un gouvernement conservateur.

Je n'ai pas eu à attendre longtemps. L'escouade de la moralité a fait tournoyer ses phares et rugir sa sirène en début de semaine. Interrogés dans ce but précis par Radio-Canada dans la région d'Ottawa, des citoyens se sont indignés de voir leurs taxes payer pour quelque chose d'aussi indécent (moi, c'est de voir la télévision publique diffuser Les Boys que je trouve indécent, mais c'est une autre histoire).

Réaction, tout aussi prévisible (dans sa diligence comme son éloquence) du directeur artistique du Théâtre français du CNA, Wajdi Mouawad, dans une lettre ouverte au Droit, mardi. «Une oeuvre n'est pas là pour plaire, elle est là pour enflammer. Une oeuvre n'est pas faite pour être comprise», a-t-il rappelé à juste titre, en invitant ses détracteurs à jeter le calendrier de la controverse à la poubelle.

«La meilleure manière, pour un artiste, de respecter un spectateur, c'est de le croire plus intelligent que soi-même, a ajouté le dramaturge. Nous ne sommes pas là pour servir. Nous ne sommes pas là pour réussir. Nous ne sommes pas là pour divertir. OEuvrer pour une minorité qui ne s'intéresse pas à ce qui intéresse la majorité, c'est aussi cela la démocratie. (Et enfin, le plus insupportable) Un artiste ne se justifie pas.»

Ça devrait clore le débat. Ce que je peux être naïf parfois.

La médiocrité

J'ai pensé à une fameuse phrase de Wajdi Mouawad en voyant Denys Arcand à l'émission Contact de Stéphan Bureau, hier soir à Télé-Québec. «Ce pays monstrueusement en paix.» Manière de dire que le Québec, n'ayant pas connu de véritable tragédie, s'en invente pour mieux passer le temps.

Denys Arcand, brillant cinéaste, observateur érudit de l'évolution du Québec, creuse ce même sillon, en insistant sur «la médiocrité ambiante de notre Belle Province». (Il n'a pas complètement tort. Sauf que son propos est teinté de la même condescendance que son dernier film, L'âge des ténèbres, à mon sens raté, qui distillait une profonde amertume.)

Denys Arcand est notre plus grand cinéaste. La chose est entendue. On s'étonne de le voir se camper en artiste incompris en ses terres. «Laissé à moi-même au Québec, les chacals m'auraient mangé», dit-il, avant d'ajouter: «Le respect, un minimum de respect, je ne l'ai trouvé qu'à l'étranger.» On a envie de lui répondre que le véritable respect ne se trouve pas dans la complaisance.

 

Image: tirée du calendrier du Théâtre français du CNA

En page couverture du calendrier, une figurine de Wayne Gretzky, maculée de sang et enchaînée à un arbre tel Jésus sur sa croix, est entourée de félins dévorant des restes humains.