On dit de lui qu'il est le plus québécois des humoristes français. Jérémy Demay a été révélé au Festival Juste pour rire en 2008 après avoir remporté le concours télévisé En route vers mon premier gala. Ce géant de 27 ans, arrivé au Québec il y a cinq ans pour un stage d'études en marketing, anime jusqu'au 23 juillet, au Studio Juste pour rire, le Cabaret des Maudits Français, mettant en vedette une demi-douzaine d'humoristes de la relève parmi les plus talentueux de France. Discussion en mode cliché avec un maudit Français qui s'assume.



Q Le spectacle s'appelle le Cabaret des Maudits Français. Tu as dû entendre souvent l'expression depuis cinq ans. Qu'est-ce qu'elle t'inspire?





R Je trouve ça sympathique «Maudits Français» plutôt que «Beaux Français» ou «Bons Français». Je ne crois pas que ce soit péjoratif. Il faut savoir faire preuve d'autodérision. Les Français ont mauvaise réputation en humour au Québec. La première fois que j'ai fait mon numéro, j'étais à l'arrière de la salle quand on a annoncé que j'étais attendu sur scène. J'étais derrière deux personnes qui ont fait: «Ah non! Pas un estie de Français!» C'est un défi de faire la preuve que les Français peuvent être drôles!





Q Je ne savais pas que les Français avaient la réputation de ne pas être drôles.









R Le cliché, c'est que les Français parlent fort, qu'ils sont arrogants, qu'ils puent et qu'ils ne sont pas drôles! Je dis souvent qu'un Français drôle, c'est comme un Chinois roux: faut le voir pour le croire. Les Québécois rient, alors ce doit être vrai.





Q C'est vrai qu'on a toujours trouvé que les Français avaient un humour particulier. Alors que Jerry Lewis est un has been un peu partout, il est encore une légende de l'humour en France.





R Il n'y a pas beaucoup d'humoristes français qui ont du succès au Québec: Gad Elmaleh, Franck Dubosc, peut-être Florence Foresti.





Q Gad Elmaleh a vécu au Québec et Frank Dubosc fait des numéros depuis longtemps avec Stéphane Rousseau. L'humour se traduit souvent difficilement, surtout lorsque les référents culturels ne sont pas les mêmes. Quand j'ai appris que Martin Matte voulait s'installer deux ans en France, ça m'a beaucoup surpris. Je trouve ça courageux.





R Les références sont importantes. La première fois que je suis venu à Montréal, j'ai voulu manger chez McDo. J'ai commandé un Big Mac. La fille au comptoir m'a demandé: vous voulez un breuvage avec votre trio? Je suis «resté bête». Pour moi, un breuvage, c'est quelque chose que l'on prépare dans une marmite. Et Tryo, c'est un groupe de musique. Quand elle m'a demandé en plus si je voulais un cabaret, je ne comprenais plus rien. Un cabaret, c'est un endroit où se produisent des humoristes.





Q Heureusement, tu étais au Québec. En France, tu te serais peut-être fait insulter. C'est un autre cliché, mais au Québec, le client est roi, alors qu'en France, le client fait chier.





R C'est une question de «tips», je crois. Au Québec, il y a des pourboires; pas en France. On sent davantage d'aigreur en France. Je pense que généralement, la vie est plus facile au Québec. Les gens sont plus cool. Il y a plus de possibilités pour les jeunes. L'idéal, ce serait la France, sa cuisine, ses vins, son architecture, peuplée de Québécois. Je ne renie pas mon pays. Je suis fier d'être Français. Un peu moins depuis un mois, à cause de notre équipe de soccer.





Q Le Québec a une relation d'amour-haine avec la France, qui s'explique selon moi par le complexe d'infériorité des Québécois vis-à-vis des Français. Les Français ont plus d'histoire, plus de vocabulaire, plus de culture. On se console en se moquant de votre accent anglais! Les «ze»...





R Je dis «Will Smisse», c'est vrai. Mais peux-tu m'expliquer pourquoi vous dites Boston alors que vous dites Washington? Ce n'est pas logique. Je trouve comique aussi que les Québécois reprochent aux Français d'utiliser des mots anglais alors qu'eux-mêmes en utilisent au moins autant. En France, on se stationne dans un parking. Au Québec, on se parke dans un stationnement.





Q C'est paradoxal. Au Québec, on utilise tellement de mots anglais qu'on a l'impression qu'ils font partie de notre langue. Notre rapport à la langue n'est pas le même. La langue française sera toujours menacée au Québec. Elle ne l'est pas de la même manière en France. Tu sais qu'en arrivant au café, j'ai tout de suite deviné que c'était toi «le Français»? Ton chandail rayé t'a trahi.





R J'arrive toujours à retrouver un Français dans une foule de Québécois. Entre autres parce que de manière générale, les hommes québécois font moins attention à la mode que les Français. Ils soignent autant leur apparence, mais pas autant leur habillement. Les Français ont souvent des chaussures de designers, des chemises à la mode...





Q Une petite laine nouée autour du cou...





R C'est très français. Au Québec, il y a moins ce côté métrosexuel. Quand je mets un t-shirt jaune et certains types de pantalons, on me demande souvent si je suis gai. C'est seulement au Québec que ça m'arrive. En France, on joue au soccer (il prononce «sucker») dans la FIFA, on ne fait pas la file, mais on se tape une queue et la pire des insultes c'est «va te faire enculer, pédé!». Ça porte à confusion.





Le Cabaret des Maudits Français jusqu'au 23 juillet, 19h30, au studio Juste pour rire dans le cadre de Zoofest.



Photo: Robert Skinner, La Presse

Jérémy Demay