Appelons ça un ciment social, pour se donner bonne conscience. Ou une obsession cathodique, pour être franc. Le dimanche soir, on estime qu'environ la moitié de la population québécoise trouve un divan, devant un écran, pour regarder l'une ou l'autre des deux chaînes suivantes: Radio-Canada ou TVA.

Dimanche dernier, entre 20 h et 22 h, plus ou moins 3,5 millions de Québécois étaient à l'écoute du Banquier, d'Occupation double ou de Tout le monde en parle. Plus de 125 chaînes accessibles par câble ou satellite au Québec, traitant de tous les sujets imaginables (mais surtout de cuisine, dans toutes ses déclinaisons): deux «postes» qui rallient un même soir la majorité des téléspectateurs francophones en âge de prendre une bière au 281.

On peut aussi appeler ça un phénomène de société circonstanciel. Car le téléphile québécois francophone n'est pas toujours aussi fidèle. Il peut être aussi volage qu'un danseur de cabaret érotique en rut, assigné à demeure à Whistler en compagnie d'une dizaine de jeunes femmes célibataires.

Selon la firme de sondages BBM, la multiplication des chaînes de télé a non seulement fait bondir la part d'écoute des canaux spécialisés (de 6,3 % en 1992 à 40,3 % en 2008), mais aussi le nombre de minutes consacrées au passe-temps favori des Québécois. Les francophones du Québec regardaient, il y a deux ans, deux heures de plus de télévision par semaine qu'en 2004 (pour un total de 31,5 h). Ils sont rivés à leur téléviseur cinq heures de plus par semaine que la moyenne des Canadiens.

Si le téléspectateur québécois francophone a modifié ses habitudes et n'est plus fidèle qu'à un seul poste, en revanche, en matière de langue, il n'est pas très aventureux. Le taux de bilinguisme des francophones du Québec a beau avoisiner les 37 %, selon le Centre des études sur les médias de l'Université Laval, le Québécois francophone moyen regarde la télévision en français 93,7 % du temps.

Il y a peu de chances qu'il connaisse la formidable série American Masters à PBS (John Lennon cette semaine) ou Modern Family, petit bijou de série comique que diffuse ABC. Parce que la télévision québécoise propose une grande variété d'émissions de qualité? Sans doute. Parce que le Québec, contrairement au Canada anglais, a créé son propre star-système? Probablement aussi.

Je ne suis pas différent de la moyenne des ours. Je passe la plupart de mes journées devant un écran (de cinéma ou d'ordinateur) et la majorité de mes soirées devant la télé. Et même si j'ai grandi dans le West Island et que j'ai été nourri de télé en anglais jusqu'à frôler l'assimilation, aujourd'hui, comme tout le monde, je zappe essentiellement en français. Je me félicite que la télévision québécoise soit en si bonne santé.

Pourtant, chaque fois (et c'est très fréquent) qu'un téléspectateur de C'est juste de la TV, émission consacrée à la télé à laquelle je participe à ARTV, reproche à notre équipe de parler de télévision anglo-canadienne ou américaine, j'ai envie de répondre: «Débarrassons-nous donc de nos oeillères.» Il se fait, en 2010, de l'excellente télévision. Pas seulement au Québec. Et pas seulement en français. Suffit d'ouvrir les yeux.

Elle s'appelle Gabrielle

Elle s'appelle Gabrielle. Elle a 16 ans, presque 17. Et elle n'a pas souri en lisant ma chronique, pourtant ironique, de mardi («Misère, pas Justin Bieber»). «Misère, pas un autre article sur Justin Bieber», qu'elle m'a d'ailleurs écrit d'emblée, pour me reprocher de «dénigrer» son chanteur préféré.

«Vous en connaissez beaucoup, des garçons de 16 ans qui remplissent un Centre Bell à guichets fermés? Pas moi. Il faut lui reconnaître certaines choses, tout de même. (...) Oui, votre chronique m'a choquée. En partie parce que je trouvais qu'elle ne provenait pas de quelqu'un qui s'y connaît assez pour pouvoir juger Justin Bieber. Et pour ce qui est de vos garçons, je crois que vous auriez eu tout autant de plaisir à avoir des filles, monsieur Cassivi, et que vous auriez été charmé de voir leur visage illuminé au retour de leur concert de lundi soir.»

J'ai pensé à une autre fille, qui, à 16 ou 17 ans, avait écrit à un chroniqueur de La Presse pour lui reprocher sa critique trop dure d'un spectacle de Depeche Mode au Forum, à la fin des années 80. On ne peut empêcher un coeur d'aimer. Surtout celui d'une fan inconditionnelle de musique de 16 ou 17 ans.

J'ai imaginé que sa lettre avait dû être aussi bien écrite, avec un mélange aussi élégant d'aplomb et de politesse, que celle de Gabrielle. Qu'elle avait dû, en substance, faire valoir les mêmes arguments (parfaitement défendables), qu'une lectrice moins délicate aurait traduits par: «Heille, mononcle! Le sais-tu que t'es trop vieux pour comprendre?»

Aujourd'hui, ironiquement, le chroniqueur rock et l'ex-fan de Depeche Mode sont voisins de bureau. Merci pour votre lettre, Gabrielle. On se reparle de Justin Bieber dans 20 ans.

Photo: AP

La série comique Modern Family que diffuse la chaîne américaine ABC.