Elle dit oui. Elle dit non. Elle épelle des noms. Une table. Elle fait boum. Elle fait bada boum. Elle écrit sans faute «Roger», «abuser» et même «crédulité». Une table érudite avec une inclination pour la rime.

Non («bada, boum» en langage mobilier), ce n'est pas n'importe quelle table. C'est le meuble-vedette de l'heure à la télévision québécoise. La Véronique Cloutier des établis. Une table ronde en métal, aux inscriptions ésotériques, qui a troqué ses chevaliers pour un médium et ses assistants. Les mouvements brusques qu'on lui prête - elle n'a pu résister au dernier Mixdown de DJ MC Mario? - intéressent environ un million de téléspectateurs.

L'émission s'intitule Rencontres paranormales. Son deuxième épisode a été diffusé hier soir, à TVA (il y en aura deux autres, cet hiver). Elle commence avec cette mise en garde: «Les événements dont vous allez bientôt être témoins sont réels et n'utilisent aucun effet d'illusion. Ils sont tournés la nuit afin de favoriser une meilleure communication avec les entités.»

Petit lexique utile: «événements» peut ici être assimilé à «la table a levé d'un bord», «réels» à «elle a vraiment levé d'un bord» et «n'utilisent aucun effet d'illusion» à «selon une animatrice et son coproducteur, acteurs dans leurs temps libres». Quant à «entités», il s'agit d'un euphémisme pour «fantômes», de la même manière que «rapprochements», à la même chaîne, en est un pour «mets ta grosse langue dans ma bouche pis tourne».

Fait vécu: en revoyant cette semaine le premier épisode de Rencontres paranormales, mon enregistreur numérique a fait défaut. Au moment même où je notais la phrase «Les événements dont vous allez bientôt être témoins...», l'image s'est figée. Il a fallu que j'éteigne l'appareil. Pas de farce.

Voulant en savoir davantage, j'ai «contacté» hier un doctorant en physique de l'Université de Sherbrooke. Sur son blogue, devenu très populaire cette semaine, Dany Plouffe a entrepris de réfuter les prétentions mystiques de Rencontres paranormales avec des arguments scientifiques. «Les mouvements de la table s'expliquent par des principes de physique élémentaires», dit-il. En somme, explique le physicien, Roger le «médium» applique une pression à un point précis de la table, ce qui la fait basculer vers lui.

Dany Plouffe dénonce ce phénomène avec le même zèle que ceux qui y croient dur comme une table de fer. Et se surprend que les médias n'aient pas dévoilé plus tôt le stratagème de l'Homme qui fait parler le mobilier. Ni du reste les facéties de son escouade de Scooby-Doo en débardeurs de polar vert, qui traque des champs magnétiques munis de détecteurs, comme d'autres des trésors enfouis dans le sable de Pompano Beach.

La diffusion de Rencontres paranormales soulève des questions plus intéressantes, à mon sens, que celle de l'angle d'inclinaison d'une table. Celle de la responsabilité d'un réseau aussi populaire que TVA, par exemple.

Un diffuseur est-il fidèle à son slogan - «TVA, c'est vrai» - lorsqu'il cautionne, sinon encourage, la superstition, à heure de grande écoute? Abuse-t-il de la crédulité des gens lorsqu'il affirme, sans recourir à une expertise scientifique, que des «événements» sont «réels», qu'ils «n'utilisent aucun effet d'illusion» et sont dus à la présence d'«entités» fantomatiques?

Je ne suggère pas que les artistes impliqués dans cette mésaventure - la productrice Chantal Lacroix en premier lieu - participent volontairement à un subterfuge. Ils sont de bonne foi. De cela, je ne doute pas. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas de «truc».

Le jeune illusionniste Luc Langevin (qui anime Comme par magie à ARTV) est capable de nous faire croire qu'il plie des cuillers, maintient des objets en suspension, lévite et lace ses souliers avec la seule force de son esprit. Langevin n'est pas médium. Il est diplômé en génie physique, titulaire d'une maîtrise en optique et candidat au doctorat en biophotonique. Il est aussi un redoutable magicien.

Luc Langevin admet volontiers qu'il y a une explication rationnelle à tous ses trucs de magie (qu'il ne dévoile pas, bien sûr). Mais il aurait très bien pu débuter dans le métier en faisant bouger une table sans que le profane ne puisse l'expliquer, se faire passer pour «extrasensoriel», convaincre un producteur de télé de filmer ses «séances occultes», les enrober de musique de thriller et du générique de Grande Ourse, pour ensuite faire peur au monde.

Je suis convaincu que Luc Langevin ne mettrait pas cinq minutes à trouver le truc qui fait bouger la table-sachant-épeler-des-mots-qui-comptent-triple-au-Scrabble. J'ai voulu le lui demander hier, mais il était «en déplacement». Non (bada, boum), pas dans une autre dimension spatio-temporelle.

Il y a bien des façons d'expliquer des «événements» comme ceux que nous présente Rencontres paranormales: les sciences physiques, l'inconscient et le subconscient, les effets idéomoteurs, l'hypnose, un gars qui s'accote subtilement sur le bord d'une table en se servant de ses pieds comme levier... La regrettée (mais pas tant que ça) arrière-grand-tante qui vient hanter le gendre de sa fille parce qu'il a dilapidé son héritage? On dira que j'ai l'esprit obtus, mais je n'y ai jamais cru.

Photo: fournie par Zone 3

Rencontres paranormales