Elle voulait faire un appel. Malgré ses 9 ans, elle ne savait pas comment. «J'ai dû lui montrer où mettre les doigts sur la roulette», se rappelle Jean-Christophe en souriant.

Jean-Christophe Laurence, un collègue et ami, est né quelques jours après la fin des années 60. Il a conservé de cette déception originelle un goût prononcé pour l'histoire et les objets du passé: des instruments de musique «vintage», de vieux couvre-chefs militaires, des lecteurs huit pistes et autres téléphones à cadran. «La sonnerie est magnifique, dit-il. Ce n'est pas pour rien que les gens la choisissent pour leur cellulaire.»

La fille de la blonde de Jean-Christophe s'est donc retrouvée, impuissante, devant un ancêtre du iPhone, une antiquité des années 70. L'anecdote a inspiré une idée au journaliste. Profitant d'un reportage de Sylvie Saint-Jacques sur la mort du Walkman, il a proposé à La Presse de tourner une vidéo d'appoint sur l'obsolescence technologique, mettant en scène des enfants qui découvrent des objets d'une autre époque.

Il a rassemblé certaines de ses pièces de collection, en a emprunté à des collègues, puis les a présentées à des élèves de deuxième année de l'école Saint-Grégoire-le-Grand, à Montréal. Cela a donné un très sympathique reportage d'environ trois minutes, intitulé «Il était une fois... les technologies du passé».

On y découvre des enfants de 7 et 8 ans, tentant de deviner à quoi peut bien servir un Game Boy, une cartouche de jeu vidéo des années 80 («Un jeu de cartes?»), des disquettes d'ordinateur des années 70 («C'est un boîtier de CD?») et 90 («C'est pour prendre des photos?»), une souris d'ordinateur des années 80, un lecteur de cassettes huit pistes («Je pense que c'est une bombe»), un vidéodisque des années 80 («Je ne sais pas trop. Un tapis?») et une table tournante de 45 tours Fisher Price, sur laquelle un enfant a le réflexe de faire du scratch.

Les enfants sont craquants, la réalisation minimaliste d'une grande efficacité, comme la musique rétro d'accompagnement. «Le clip est volontairement estudiantin, simple, low-fi, broche à foin», dit Jean-Christophe. Et j'ajouterais, à l'image de son concepteur, d'un charme unique.

D'abord diffusée sur Cyberpresse en décembre, la vidéo a connu un beau succès, avec près de 45 000 visionnements. Différents médias québécois en ont parlé, du webzine branché P45 à la très populaire émission de TVA Salut Bonjour! Puis le «buzz médiatique» a pris une tout autre ampleur quand les médias français s'y sont intéressés. Le Monde en a fait mention sur son site internet peu après Noël, puis Libération et Rue 89.

La semaine dernière, grâce à Facebook, Twitter et des sites très consultés tels Boing Boing, la vidéo «broche à foin» de Jean-Christophe, sous-titrée en anglais par un internaute puis relayée sur YouTube, a rejoint un public mondial. Hier, plus de 1,3 million de personnes l'avaient vue, sur YouTube seulement, sans compter les autres plateformes de diffusion. Un succès insoupçonné.

Le plus récent «Viral Video Chart» du prestigieux quotidien britannique The Guardian, qui tient le compte des vidéos les plus souvent suggérées sur deux millions de blogues, pages Twitter et Facebook dans le monde, a classé celle de Jean-Christophe parmi les dix plus populaires la semaine dernière. En compagnie, entre autres, de la désormais célèbre vidéo YouTube de «l'itinérant à la voix d'or», Ted Williams. «Il était une fois... les technologies du passé» était la seule capsule en français du palmarès.

Contre toute attente, le plus anti-techno et «vieille école» de mes chums (il tient tout de même le blogue montrealmultiple.com) vient de comprendre ce qu'est un phénomène viral sur le web. «C'est comme une pieuvre qui étend ses tentacules, dit-il. C'est exponentiel, organique et arborescent. En une semaine, le nombre de visionnements a plus que doublé. Plus d'un million de personnes qui aiment un petit truc que tu as fait, c'est abstrait. Ça me dépasse, mais je trouve ça fascinant. Je me sens comme Céline Dion!»

Tout le monde lui en parle, et Jean-Christophe s'amuse beaucoup à lire les dizaines de commentaires qui accompagnent son clip sur YouTube, en français, en anglais et en espagnol. Il aura sans doute besoin d'un interprète s'il veut déchiffrer les plus récentes observations, rédigées en chinois (ce qui laisse croire que la propagation de sa vidéo n'est pas terminée).

Le journaliste souhaite aussi sans doute que son reportage sans prétention en fasse réfléchir quelques-uns sur le bombardement technologique incessant dont les consommateurs font souvent les frais. «On nous pousse sans cesse à la consommation, dit-il. On lance des révolutions technologiques aux cinq ans. De la cassette BETA, on est passé au VHS, au DVD puis au Blue Ray. Du vinyle, on est passé à la cassette, au CD, à la cassette numérique et aux fichiers numériques. On nous oblige à nous rééquiper chaque fois. Il faut tracer la limite. C'est mon combat!»

Un combat pour lequel il a découvert une arme formidable.

Photo: tirée de Cyberpresse

Un jeune garçon dubitatif devant une table tournante Fisher Price.