Plan large sur deux policiers, assis dans un garage. Vannés, griffés, puckés, alanguis. Le vague à l'âme, le regard éteint. Ils attendent que leur voiture de patrouille, la 19-2, bombardée de bière et de gâteau par des fêtards insoumis, soit lavée.

La journée a été dure dans le quartier Centre-Sud. Psychose, violence conjugale, surdose d'héroïne. Les «partners» ne s'échangent aucun regard, aucune parole. Trompette jazz en sourdine, violon lancinant, xylophone par à-coups. La séquence, mélancolique, enveloppante, parfaitement calibrée, dure trois minutes et demie.

Trois minutes et demie de télévision captivante, éthérée, vaporeuse. D'images filtrées, diaphanes. De cadrages étudiés et élégants. Une trame narrative se résumant à quelques gestes, à quelques expressions du visage d'acteurs de grand talent. Sans le moindre dialogue. Une rareté.

La télévision, je le dis sans malice, reste la plupart du temps un art mineur. Il y a pourtant, de plus en plus fréquemment, des séries ambitieuses, hors du commun, conçues par des créateurs brillants, décomplexés, qui transcendent les limites du petit écran.

La série 19-2 (Radio-Canada, mercredi, 21 h) est de celles-là. Réalisée par Podz, d'après une idée de Claude Legault et Réal Bossé et un scénario de Bossé, Joanne Arseneau et Danielle Dansereau, cette série policière ultraréaliste est de loin ce que j'ai vu de plus abouti à la télévision québécoise depuis un an.

La réalisation de Podz (Les 7 jours du talion, 10 1/2), inventive et singulière, fluide et efficace, d'une personnalité toujours aussi forte et marquée, se fait ici moins esthétisante que dans Minuit, le soir, tout entière au service d'un récit subtil, très habilement mené, nourri de parts d'ombres et de mystères. Ceux de l'homme et de son «partner».

Au coeur de l'intrigue se trouvent deux patrouilleurs aux antipodes l'un de l'autre (Legault et Bossé), contraints de faire équipe malgré eux. Le «chevreuil» de la SQ et la «face de beu» du Service de police métropolitain, tous deux hantés par leur passé, par leurs relations amoureuses incertaines, par leur passion du métier aussi.

Après quatre épisodes (sur dix), l'on sent que malgré une complicité bourgeonnante, ces deux-là n'ont pas fini de se confronter, l'un à l'autre et à leurs propres démons. Pourquoi la blonde de Chartier (Legault), interprétée par Fanny Malette (mystérieuse et évanescente), tarde-t-elle à le rejoindre en ville? La femme de Berrof (Bossé), incarnée par Julie Perreault (toujours impeccable), lui pardonnera-t-elle ses errances?

J'attends la suite avec impatience. Malgré les personnages plus typés (le grand patron mesquin) et les inévitables invraisemblances. Parce que le regard posé sur la profession de policier est franc, lucide, respectueux, mais sans complaisance: un agent est alcoolique, un autre bat sa femme, il y a des rivalités et des esprits de corps, des gestes héroïques et des comportements douteux sur le plan éthique.

Aussi, parce que les héros ont à la fois une profondeur, une fragilité et une complexité peu communes, que les acteurs sont remarquables de justesse (le jeune Robert Naylor entre autres) et que la réalisation de Podz (qui a réuni plusieurs de ses comédiens fétiches), suave, moderne, ingénieuse, n'a rien à envier à personne.

Et parce que terminer le troisième épisode d'une télésérie avec une séquence de trois minutes et demie de plans jamais fortuits, magnifiques, une musique hypnotique à l'avenant, en suggérant avec finesse un dénouement qu'aucun dialogue ne saurait mieux exprimer, constitue un tour de force.

En s'adressant ainsi non seulement aux tripes et aux yeux, mais à l'intelligence du téléspectateur, 19-2 témoigne de la liberté, de la vivacité, de l'audace et de la très grande qualité dont est capable, quand elle s'en donne la peine, notre télévision.

Belles Voix humaines

Dans un autre registre, j'ai découvert avec grand plaisir cette semaine la nouvelle série documentaire d'Anaïs Barbeau-Lavalette, Les voix humaines (ARTV, mardi 19 h), qui cosigne la réalisation avec Maryse Legagneur et Mathieu Vachon.

Dix épisodes d'une demi-heure rendant compte de rencontres inédites entre musiciens et groupes de citoyens, débouchant sur des chansons tout aussi inédites. Le premier épisode suivait Ariane Moffatt dans sa découverte du monde des travailleuses du sexe. Un traitement original ne versant jamais dans le sensationnalisme, à l'image des questions pertinentes de l'artiste. Et au final, une chanson inspirée, très inspirée même, par la rencontre.

Dans l'épisode de mardi prochain, Vincent Vallières rencontre des militaires et leur fait part de ses nombreux a priori, de manière tout à fait franche et candide. Du bonbon télévisuel. Au cours des prochaines semaines, Mara Tremblay rencontrera des femmes battues, Fred Fortin un autiste, Yann Perreau une communauté autochtone, Radio Radio des moines de Saint-Benoît-du-Lac, etc.

Un regret: que ces demi-heures passent trop rapidement. On en aurait pris davantage. C'est à la fois un défaut et, bien sûr, une qualité.

Photo: Radio-Canada

Claude Legault et Réal Bossé, dans une scène de 19-2, une série réalisée par Podz.