On souhaite son retour depuis tellement d'années, tant de projets ont été évoqués puis abandonnés, qu'on a accueilli la nouvelle avec un mélange d'incrédulité et d'enthousiasme en début de semaine.

La Course revient au petit écran. Une version remaniée de cette émission mythique, qui a fait rêver quantité de futurs globe-trotteurs et fait découvrir une génération de jeunes créateurs talentueux, sera diffusée à Évasion dès l'automne prochain.

La Course Évasion autour du monde sera assez différente de celle qui a révélé les Denis Villeneuve, Robin Aubert, Sophie Lambert, Ricardo Trogi, Karina Goma et autres François Parenteau de notre paysage médiatique.

Dix concurrents de 20 à 29 ans parcourront le globe pendant 10 semaines, en équipes de deux, jusqu'à une ronde finale où seulement quatre candidats seront retenus, puis un vainqueur déclaré. La course, à laquelle participeront trois juges, adoptera en quelque sorte le principe «d'élimination» de la téléréalité.

Autre différence importante: les jeunes reporters seront accompagnés sur le terrain par l'animateur et rédacteur en chef François Bugingo, journaliste spécialisé dans les affaires internationales (qui n'a pu être joint hier). Plutôt que de choisir leurs propres destinations, les candidats seront affectés simultanément aux mêmes lieux de tournage.

Évasion assure qu'il ne s'agira pas d'une émission de voyage ou de tourisme comme une autre et que l'esprit de la Course destination monde sera conservé. Cela, pourtant, ne semble pas rassurer tout le monde.

Philippe Falardeau, cinéaste de La moitié gauche du frigo, C'est pas moi, je le jure! et Bashir Lazhar, actuellement en production, a remporté la Course destination monde en 1993. Depuis des années, il est sollicité et participe à des réunions sur des projets de nouvelle mouture du concept.

Alors que de son propre aveu, il devrait se réjouir de la résurrection de la Course, il m'a confié que l'émission que propose Évasion, d'après un concept français, ne semble pas avoir échappé à ce qu'il qualifie d'«ère de l'infantilisation».

Le cinéaste de Congorama se questionne notamment sur le besoin des candidats d'être «épaulés» par un animateur. «Qu'est-ce que ça veut dire? Que les coureurs ont besoin d'être guidés parce qu'ils sont inexpérimentés? Qu'ils ont besoin d'un prisme journalistique pour appréhender le monde? Et que l'animateur sera, au final, le personnage récurrent de la série? Exit la liberté de fond et de forme?»

Philippe Falardeau voit aussi d'un mauvais oeil les déplacements en groupe des candidats, alors que la Course à laquelle il a participé laissait le libre choix d'un itinéraire aux concurrents. «Évidemment, ironise-t-il, on ne voudrait surtout pas que notre jeunesse s'éparpille. La planète est un endroit dangereux.»

Falardeau rappelle qu'il s'est lui-même rendu en Libye en 1992, alors que peu de journalistes occidentaux y avaient accès. «À une autre époque, les vidéastes s'aventuraient partout dans une démarche d'exploration de l'autre et de soi-même. Les concurrents sont allés en Bosnie, au Soudan, en Birmanie, dit-il. La Course était un mélange de débrouillardise et de création qui nous a formés et qui a permis aux spectateurs de découvrir le monde à travers des regards personnels, imparfaits il est vrai, mais souvent singuliers.»

Le plus triste, le plus navrant, selon Philippe Falardeau, c'est le principe «d'élimination» que l'on a intégré à la nouvelle formule. «Non seulement les concepteurs n'ont pas réussi à débusquer une idée nouvelle pour rajeunir le concept, croit-il, mais ils ont soumis l'idée la plus ressassée et la plus éculée, celle-là même qui a poussé la télévision dans ses retranchements les plus médiocres. Si on a un minimum de respect pour le processus créatif et pour la parole donnée à nos jeunes, si on leur fait confiance et qu'on est capable de s'émouvoir quand ils nous rapportent leurs impressions d'un monde en mouvement, pourquoi faudrait-il les éliminer comme de vulgaires lofteurs qui n'ont rien à dire?»

Je comprends les réserves de Philippe Falardeau, catégorique, qui dit voir dans ce nouveau concept non pas le retour de la Course destination monde, mais plutôt sa disparition définitive. Il est légitime de craindre que la Course nouvelle mouture soit trop lisse et policée, alors que c'est justement quand ils bravaient les interdits, cumulaient les couacs en plus des traits de génie, que l'on appréciait le plus ses candidats.

Denis Villeneuve hallucinant des Bédouins dans le désert, Manuel Foglia ne donnant plus de nouvelles de la cambrousse, Pierre Deslandes, caché sous une camionnette, risquant sa peau pour filmer un attentat au Niger. L'intérêt de la Course, de l'émission, de l'aventure, résidait surtout dans les difficultés que rencontraient les candidats. Dans leur capacité à se tirer des situations les plus difficiles, cocasses ou absurdes. Dans leur cheminement à eux, autant que de celui de leurs films.

La Course autour du monde d'Évasion (dont certaines émissions s'apparentent à des reportages publicitaires) sera-t-elle, comme le craint Philippe Falardeau, à l'image d'une certaine évolution de notre société: aseptisée, contrôlée, prévue dans ses moindres détails, sans que rien ne dépasse, ne choque ou ne dérange?

Il faudra bien sûr voir le résultat avant de se prononcer. Et laisser, c'est le cas de le dire, la chance au coureur.