Il a beau être originaire de la planète Krypton, Superman, héros mythique de la bande dessinée du même nom, veut renoncer à sa nationalité américaine pour devenir «citoyen du monde». On est de son temps ou on ne l'est pas.

Le justicier emblématique, journaliste du Daily Planet dans ses temps libres, en a fait l'annonce lui-même, en costume moulant, cape au vent et bobettes rouges, à un représentant de la Maison-Blanche, dans le 900e numéro de la célèbre série de DC Comics.

Déçu par les réactions suscitées aux États-Unis par son soutien aux manifestants iraniens, Superman déclare à son interlocuteur du gouvernement américain: «C'est pourquoi je compte parler demain devant les Nations unies pour les informer que je renonce à la nationalité américaine. La vérité et la justice pour l'Amérique, ce n'est plus suffisant.»

Il n'en a pas fallu davantage pour soulever l'ire des commentateurs conservateurs, qui s'en sont offusqués sur toutes les tribunes médiatiques des États-Unis cette semaine.

«C'est une bande dessinée, mais c'est quand même troublant que Superman, qui a toujours été une icône américaine, nous dise maintenant: Je ne vais plus être citoyen américain», a déclaré Mike Huckabee, ancien candidat à l'investiture républicaine pour la présidence des États-Unis, à la chaîne de télé Fox News.

«Cela participe d'un mouvement plus général des Américains qui s'excuseraient presque d'être américains», a-t-il ajouté, en précisant que les propos de Superman ne devaient pas être pris à la légère.

On parle d'un personnage de bande dessinée. Venu d'une planète inventée. Qui vole. En combinaison de spandex bleue. Et dont les paroles sont rapportées dans des phylactères. Misère.

Rien pour empêcher l'animateur vedette de Fox News, Bill O'Reilly, de qualifier «d'incroyablement débile» ce nouveau ressort dramatique imaginé par les auteurs de la série. Ni d'autres blogueurs, chroniqueurs et animateurs de droite, notamment du Tea Party, d'y voir un complot socialiste inspiré par Barack Obama lui-même. On n'ose imaginer ce qu'ils diraient du raz-de-marée néo-démocrate au Québec.

En réaction à cette ridicule polémique, les éditeurs de DC Comics ont cru bon répondre que, même si Superman «annonce son intention de donner un tour plus mondial à son combat éternel (contre le mal), il reste, comme toujours, attaché à son foyer d'adoption et à ses racines de garçon campagnard de Smallville, au Kansas».

Sont fous, ces Américains.

L'inculture

Inculte. J'ai hésité à utiliser ce mot dans ma dernière chronique, mardi, sur les raisons de craindre un gouvernement conservateur majoritaire en matière de culture.

J'ai fini par l'écrire, à dessein, faute de mieux et par souci de titiller, dans cette phrase: «C'était sans compter sur le Québec, où pour un inculte qui ne saisit pas l'importance de soutenir la culture, dix autres font preuve d'un minimum de discernement.»

Ça a fonctionné. Et titillé. Bien des lecteurs, dont Patrick, un «ami virtuel», brillant observateur de l'industrie culturelle, lui-même artiste, érudit intéressé par la philosophie politique. Je n'ai jamais rencontré Patrick, mais il m'écrit parfois, après une chronique, pour me dire à quel point je suis dans le champ. Sur un ton très amical. Je l'apprécie pour ça.

Je loge à gauche. Il loge plus à droite. On s'entend sur autre chose. On aime tous les deux la musique et le cinéma. Le dialogue est possible. Ce n'est pas rien. Patrick est loin d'être un inculte. Et pourtant, il est de ceux qui s'opposent aux subventions versées aux artistes. «Je crois que l'État doit soutenir la culture en construisant des salles, en finançant un diffuseur public, en donnant des moyens physiques. Des musées, des bibliothèques, des cinémathèques. Donner de l'argent directement aux créateurs? Je crois que c'est carrément pervers.»

Son discours est plus nuancé, plus réfléchi, que le flot d'insultes que j'ai aussi reçues dans la foulée de la réélection, prévisible, de Stephen Harper. Bien des courriels pour dénigrer, sur un ton triomphaliste, les idées d'une gaugauche syndiquée gâtée pourrie qu'on m'accuse de véhiculer.

Il y a, j'en conviens, bien des inconvénients au système de financement des arts au Québec et au Canada. C'est, d'une certaine manière, une politique du pis-aller, que ses détracteurs n'ont pas tort d'assimiler à une forme d'assistanat. Certains artistes et organismes culturels auraient intérêt à davantage se prendre en mains, à explorer de nouvelles avenues de financement, à ne pas attendre passivement leur dû. Il y a aussi, c'est vrai, des iniquités dans la lourde machine bureaucratique chargée des subventions.

Il reste malgré tout que sans financement public, il y aurait beaucoup moins d'art et d'artistes vivant de leur art au Québec et au Canada. Pas de cinéma (une infime minorité de films font leurs frais). Beaucoup moins de musique, de théâtre et de danse. Pas de télévision comme on la connaît. Pour des raisons de masse critique, de public, de coûts et de marché, pour emprunter des expressions que la droite peut bien comprendre.

«Ça nous tente pas de payer pour ça, m'écrit Marie-Ange. Vous avez qu'à visiter les salles d'exposition. Des barres horizontales, tout le monde est capable de faire ça. Et c'est vrai qu'ils se prennent pour d'autres. On est écoeurés de les entendre brailler à tous les galas et à Tout le monde en parle

Pour résumer l'essentiel du propos de mes correspondants: si on ne peut pas vivre de son art, qu'on ne fasse pas d'art. Parfois mes lecteurs me dépriment.

Photo: Reuters/DC Comics

Extrait du 900e numéro de Superman qui a créé une polémique aux États-Unis.