Il y a plusieurs façons d'intimider. Jamie Hubley, un adolescent de 15 ans d'Ottawa, a fini par se suicider à force de se faire intimider dans la cour d'école parce qu'il était gai. Le drame a inspiré à l'animateur Rick Mercer une tirade d'anthologie sur le sujet, il y a une quinzaine, dans le cadre de son émission à la CBC.

Il en était de nouveau question mardi, au micro de Catherine Perrin, à la Première Chaîne de Radio-Canada, en compagnie du «fou du roi» de Tout le monde en parle, Dany Turcotte, du sociologue de la sexualité Michel Dorais, et de la journaliste Judith Lussier.

Au coeur de la discussion, une question d'actualité: les personnalités publiques homosexuelles devraient-elles, par solidarité, «sortir du placard», comme le suggère Rick Mercer, lui-même ouvertement gai?

Si je peux me permettre... M'est avis que le droit à la vie privée devrait avoir préséance sur toute volonté d'instrumentalisation de l'homosexualité à des fins d'éducation sociale. Et que ce droit inaliénable ne devrait souffrir d'aucune exception relative à la notoriété, l'orientation sexuelle ou le rôle qu'une personne joue dans la société. Oui à l'indignation. Pas au détriment de la liberté de choix. Être gai et connu n'impose pas une obligation de publiciser son homosexualité pour faire oeuvre utile. Il me semble.

Il y a plusieurs façons d'intimider, que je disais. Pas seulement dans une cour d'école. Dany Turcotte n'a pas choisi seul d'afficher publiquement son homosexualité. À force d'insinuations et de sous-entendus pendant la première saison de Tout le monde en parle, il en est venu à la conclusion qu'il ne pouvait plus tenter de gommer cette facette de sa vie privée.

Dany Turcotte n'a jamais caché son homosexualité. Ses parents et ses proches savent qu'il est gai depuis son adolescence. Mais si son orientation sexuelle est depuis longtemps bien connue dans les milieux artistiques et journalistiques, il n'a jamais senti le besoin de la clamer sur la place publique. Jusqu'en décembre 2004...

Lors d'un passage remarqué à Tout le monde en parle, que plusieurs ont lié à son congédiement ultérieur de Télé-Québec, l'ex-Franc-Tireur Benoit Dutrizac a déclaré, en réponse à une boutade de Dany Turcotte, qu'il avait «l'air fif». «Il a fait ça pour me museler, m'a raconté hier Dany Turcotte. Ça m'a scié les jambes. J'en avais des sueurs froides dans le dos. J'ai trouvé ça mesquin. Je n'avais plus le choix. Je ne pouvais plus me cacher.»

Dany Turcotte n'en a jamais discuté avec Benoit Dutrizac. C'est la première fois, cette semaine, qu'il en parle publiquement. Et même si, avec le recul, il arrive à revoir l'incident comme «un mal pour un bien», qui l'a libéré d'un poids dans la pratique de son métier, il en veut encore à l'animateur du 98,5 FM de l'avoir ainsi «piégé».

On le comprend. Il y a une différence fondamentale entre inciter les gens à afficher volontairement leur homosexualité, et tenter de dévoiler leur orientation sexuelle sans leur consentement. Il y a peu de pratiques plus méprisables, à mon avis, que l'«outing». On se rappellera de la «classe de maître» donnée par le Journal de Montréal en la matière, l'an dernier, aux dépens d'un ex-animateur de TVA passé à Radio-Canada.

Benoit Dutrizac n'a pas dévoilé l'homosexualité de Dany Turcotte. Il prétend qu'il n'était pas au courant de son orientation sexuelle à l'époque et se défend d'avoir voulu l'intimider. «Si je l'ai mis en boîte, je ne m'en suis pas rendu compte», m'a-t-il dit hier.

C'est possible. N'empêche que de dire de quelqu'un qu'il «a l'air fif» à la télévision, alors qu'il n'a pas fait son «coming-out», devant près du quart de la population du Québec, peut certainement être interprété comme une tentative d'intimidation. Surtout de la part d'un futur prix Nobel du «bullying» en ondes, maître en excès verbaux de toutes sortes, dont ce n'est pas le premier (ni le dernier) dérapage.

Que Benoit Dutrizac ait su ou non que Dany Turcotte était gai ne change rien au fait qu'il l'ait laissé entendre, en des termes qu'on ne saurait confondre avec un compliment. Je ne dis pas, comme Dany Turcotte, qu'il faut bannir le mot «fif» du vocabulaire québécois. Le mot a plusieurs significations, qui dépendent de différents contextes. Celui-ci était particulier.

«Il s'en est servi comme d'une arme», croit Dany Turcotte, très sensible à l'intimidation dont sont victimes les homosexuels, et qui n'hésite jamais à publier les nombreux propos homophobes qu'il reçoit, sur les réseaux sociaux. Twitter est d'ailleurs devenu pour lui un outil de conscientisation et de dialogue avec de jeunes homosexuels en quête de conseils.

«Je rêve d'un coming-out collectif, d'un Refus global gai, avec des homosexuels de tous les horizons, des artistes, des policiers, des politiciens, qui s'affichent et qui signent un manifeste», dit l'animateur de La petite séduction, en discussion avec différents groupes d'aide aux homosexuels pour que ce rêve se concrétise.

Devenu malgré lui un porte-étendard de la «cause homosexuelle» - «Je ne voulais pas être un Che GAIvara», dit-il en riant -, Dany Turcotte revendique le droit à la banalité pour les gais. Afin qu'un jour, un adolescent de 15 ans puisse dire «mon chum» en toute liberté, sans craindre d'être méprisé dans la cour d'école.

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