Avec le temps, un chroniqueur en vient à savoir quand un papier fera réagir ses lecteurs. Pour toutes sortes de raisons assez évidentes, qui ont trait au sujet choisi, au ton emprunté, au moment où sa chronique sera publiée, etc.

J'ai pris comme résolution la semaine dernière de commencer l'année avec une chronique sans conséquence, qui ne ferait pas de vagues. Une entrée en matière discrète pour un lectorat en surlendemain de veille du jour de l'an.

Cette chronique, que je voulais amusante, portait sur la musique que j'écoute en faisant de la course à pied. Je l'ai intitulée «Huit conseils pour réussir son régime». Oui, oui, pour rire. De moi surtout.

Avant même que j'aie pu prendre une bouchée de barre diététique le lendemain, un courriel très sérieux d'un confrère du Devoir m'attendait: «Si je comprends bien votre texte de ce matin, il n'y a que l'anglais pour motiver son coureur. Vous auriez pu titrer votre chronique: «Quand Elvis Gratton se met au jogging», finalement.»

La veille, plein de bonne foi, tu décides que tu n'embêteras pas tes lecteurs avec ton appréciation tardive d'un Bye Bye médiocre ou des jokes de cancer douteuses de Mike Ward. Le matin, tu te fais traiter d'Elvis Gratton du jogging parce que tu n'écoutes pas, selon la police autoproclamée de la langue, assez de chansons «canadiennes-françaises d'Amérique du Nord francophone» en préparant ton prochain marathon. Tabarnak! comme dirait l'autre.

Il n'était pas seul, le confrère, à s'irriter de ce que je me motive à l'entraînement en écoutant Arcade Fire, DJ Champion ou le «franglais» de Radio Radio (qui serait «l'étape intermédiaire de l'aliénation», si j'ai bien compris). Aparté: j'en sais assez sur l'assimilation, ayant grandi dans le West Island, pour ne jamais sous-estimer l'importance des mesures de protection de notre langue.

Certains ont trouvé «odieux» qu'il n'y ait pas davantage d'artistes francophones parmi les titres glanés sur mon baladeur numérique. D'autres ont suggéré que je me rangeais pernicieusement du côté de la Caisse de dépôt, de la Banque Nationale et du Canadien de Montréal en bafouant la langue française pendant mes sorties du dimanche au mont Royal. Rien de moins.

C'est juste moi, comme dirait Shakespeare, ou il y a depuis quelque temps chez nous un climat assez malsain de chasse à l'anglophone? Accompagné de vieux complexes linguistiques qui refont surface là où on ne les attend pas?

Je ne parle pas de l'absurdité de nommer des cadres unilingues anglophones dans une société d'État québécoise. Ou d'embaucher un entraîneur de hockey qui ne parle pas le français à Montréal, sans comprendre l'impact socioculturel d'une telle décision.

Je parle de reprocher à un chroniqueur d'écouter parfois autre chose que de la chanson québécoise lorsqu'il s'échine à s'entraîner par intervalles à -20o C. Pousse mais pousse égal, comme dirait ma mère!

Faudrait-il imposer des quotas de musique francophone à tous les journalistes qui s'adonnent à la course à pied (j'en connais quelques-uns)? Faudrait-il plutôt les contraindre à mentir, pour mieux faire la promotion de la chanson francophone et ne pas donner l'impression qu'ils embrigadent leurs lecteurs en les inondant de rimes anglaises? Pleeeease!

Faudrait-il, a fortiori, parce que je suis chroniqueur aux pages culturelles, que je ne regarde et n'écrive que sur des émissions de télévision et des films doublés en français? Que je ne lise que des romans traduits? Que je ne prétende boire que des vins bourguignons, mais surtout pas de l'Oregon?

Quand je cours, je ne cours ni en français, ni en anglais, ni en portugais. Je cours en écoutant de la musique pour oublier que ma fréquence cardiaque accélère et que les muscles de mes cuisses me font souffrir. Je porte très peu attention aux paroles. L'ambiance d'une chanson, son rythme, me guident.

Ce que je ne fais surtout pas en courant, c'est de la politique. Ni du reste lorsque j'établis des listes d'oeuvres (un dada). Personne ne m'a reproché de n'avoir inclus qu'un seul titre québécois dans la liste de mes 10 films préférés de 2011. Pourquoi en serait-il différemment avec la musique québécoise? Pourquoi commanderait-elle plus de complaisance et de condescendance?

La vérité, c'est que je n'ai pas pensé une seconde à la langue des chansons suggérées dans ma chronique en l'écrivant. Faute d'espace, j'ai même dû retrancher une chanson de Malajube (Synesthésie) et une autre de Salomé Leclerc (Partir ensemble).

Dans certaines de mes listes de course, il y a autant du Loco Locass (Spleen et Montréal) que du vieux Bérurier noir (Salut à toi) ou du Noir Désir (Tostaky). Oui, avec Bertrand Cantat, qui a commis un meurtre. La chanson francophone que j'écoute le plus souvent en courant? Elle est de Philippe Katerine. Elle s'intitule Je vous emmerde.

Pour joindre notre chroniqueur: mcassivi@lapresse.ca