À moins d'un revirement de dernière minute, le gouvernement conservateur annoncera jeudi des coupes de plus de 100 millions de dollars à Radio-Canada d'ici trois ans, soit environ 10% du budget annuel de la société d'État.

Dans une lettre destinée aux employés de Radio-Canada hier après-midi, le président, Hubert Lacroix, confirmait que la société d'État faisait face à un «défi budgétaire certain», semblable à celui de 2009.

Dans une lettre envoyée aux médias la semaine dernière, le vice-président principal du service français de Radio-Canada, Louis Lalande, ne se faisait guère plus rassurant en annonçant que «toutes les composantes CBC/Radio-Canada ont été appelées à réévaluer leurs façons de faire afin d'atteindre nos cibles budgétaires».

Le premier budget d'un gouvernement conservateur majoritaire en 20 ans ne sera pas tendre envers Radio-Canada. Et personne n'en sera surpris. Le gouvernement Harper laisse planer depuis des mois la menace de son couperet.

Si les coupes ne risquent pas d'être à la hauteur des espoirs de certains députés conservateurs - qui prennent régulièrement Radio-Canada pour cible en Chambre et réclament des compressions budgétaires de l'ordre de 20% -, elles seront vraisemblablement plus élevées que les 5% évoqués par le ministre du Patrimoine, James Moore, il y a quelques mois.

Le gouvernement Harper veut donner l'impression que Radio-Canada doit «faire sa juste part» (un refrain connu) en coupant dans le gras. Sauf qu'il reste bien peu de gras à couper.

En septembre 2009, un manque à gagner de 171 millions avait entraîné la suppression de plus de 800 postes permanents à Radio-Canada, dont 335 au service français. L'an dernier, le diffuseur public avait dû retrancher 16 millions supplémentaires à son budget.

«L'employeur nous a laissé entendre que les pertes d'emplois pourraient être du même ordre que celles de 2009», m'expliquait hier le président du Syndicat des communications de Radio-Canada, Alex Levasseur.

Dans les circonstances, sans financement adéquat, il ne fait pas de doute qu'il deviendra de plus en plus difficile pour Radio-Canada de remplir son mandat. Déjà que le diffuseur public peine parfois à y arriver. Le financement inadéquat, évidemment, n'explique pas tout. Il est parfois surtout question de manque de vision que de manque de fonds. Il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil ces temps-ci à la grille du lundi soir, à la télévision de Radio-Canada, pour se rendre compte que la chaîne publique ne relève pas toujours le défi de la qualité et de l'audace.

Il reste que Radio-Canada est l'un des remparts de l'information de qualité au Québec et au Canada. Où l'information, de façon générale, n'est pas influencée ni guidée par des intérêts économiques, mais par l'intérêt public.

Avec ses correspondants dans toutes les régions du monde, Radio-Canada se pose en dernier bastion de l'information internationale dans les médias électroniques. Ses enquêtes ont permis de mettre en lumière des pratiques scandaleuses qui n'auraient peut-être pas été connues autrement.

S'assurer de cette information de qualité est un choix de société. La télévision et la radio de Radio-Canada sont des biens publics qu'il faut chérir en leur donnant les moyens de leurs ambitions. Le gouvernement conservateur ne devrait pas sabrer le budget de la société d'État, mais plutôt lui assurer un financement récurrent qui garantisse son essor et son indépendance.

On ne supprime pas des dizaines de postes dans un service d'information sans atteindre à la qualité de cette information. On ne prive pas de dizaines de millions une programmation générale sans que les émissions de variétés et les fictions s'en ressentent.

Les Canadiens fournissent en moyenne 34$ par année à Radio-Canada. C'est neuf cents par jour. Ça, c'est ce que l'on peut appeler «faire sa juste part». En comparaison, en 2009, chaque citoyen britannique a fourni 111$ à la BBC, et la contribution annuelle de chaque Français à France Télévision était de 78$.

Une étude réalisée par le Groupe Nordicité la même année a révélé que le Canada se classait 16e parmi 18 pays occidentaux en ce qui concerne le financement de la radiodiffusion publique. Il n'y a que les citoyens de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis qui contribuent moins au financement de leur radio et de leur télévision publiques. En moyenne, chaque citoyen paie 87$ au diffuseur public dans les 18 pays occidentaux étudiés.

Idéologie

Il n'est pas interdit de croire que la décision du gouvernement Harper de sabrer le budget de Radio-Canada soit idéologique. Certains, au Parti conservateur et dans les médias de droite, aiment répandre l'idée que Radio-Canada n'est qu'un repère de gauchistes et d'indépendantistes subversifs.

Sun News, la chaîne «d'opinions en continu» de Quebecor, ne semble exister que pour convaincre son auditoire que Radio-Canada est une aberration bureaucratique qui siphonne l'argent durement gagné des contribuables. L'an dernier, le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, a accusé Radio-Canada de mentir «tout le temps»...

N'en déplaise à ses détracteurs, la société d'État est un diffuseur qui nous informe consciencieusement sur le monde dans lequel on vit, qui réalise des enquêtes essentielles et percutantes sur la corruption dans le monde de la construction ou encore sur les dangers écologiques des sables bitumineux, en insistant sur les travers de la politique environnementale du gouvernement Harper, grandement influencée par l'industrie pétrolière albertaine...

De l'information sans doute compromettante pour un gouvernement majoritaire. Mais dont on ne saurait se passer dans une société libre et démocratique.

Pour joindre notre chroniqueur: marc.cassivi@lapresse.ca