L'homme de théâtre et militant écologiste Dominic Champagne était à une table voisine du café. «Heille, Samian! Je vais aller à Kahnawake vendredi, rencontrer des Mohawks. Ils veulent faire un truc sur la paix avec les Algonquins, le 22. On pourrait faire ça ensemble...»

«Attention! Y a des Indiens là-bas!» lui a répondu le rappeur, en souriant.

Samian, alias Samuel Tremblay, revendique avec fierté ses origines algonquines (par sa mère) depuis qu'il s'est fait connaître grâce au projet de Wakiponi mobile de la cinéaste Manon Barbeau. Le rappeur originaire de l'Abitibi a rencontré Dominic Champagne pour la première fois il y a deux semaines, dans le cadre de la campagne de sensibilisation à l'événement du 22 avril, autour du Jour de la Terre, organisé par le dramaturge et metteur en scène. «J'ai tourné une vidéo pour Dominic, me disait-il hier. J'y serai le 22 avril, sans faute!»

Les artistes québécois se mobilisent. Pour la protection des rivières et des forêts, contre l'exploitation abusive des mines et des gaz de schiste, pour la souveraineté du Québec, contre la hausse des droits de scolarité...

Samian a décidé d'ajouter sa voix au concert de protestations. Hier, il a rendu disponible gratuitement pour téléchargement sa plus récente chanson, Plan Nord, qui dénonce la stratégie du gouvernement Charest en matière de gestion des ressources naturelles. Et qui accuse nos dirigeants de piller nos richesses sans égard aux conséquences sur l'environnement et les peuples autochtones.

«Le gouvernement a décidé de perdre le Nord/Pour des diamants, de l'argent et de l'or/Il prétend vivre dans un pays libre/Mais il ignore que la nature est notre parfait équilibre. (...) Vous voulez déraciner tout le Nord québécois/Mais un jour vous comprendrez que l'argent ne se mange pas.»

Cette dernière phrase, répétée par Samian comme un mantra, a été empruntée au légendaire chef amérindien Sitting Bull, et a inspiré ce rap mélodique, au rythme langoureux, au texte dense et au ton direct, livré comme une lettre ouverte dans un journal.

«La phrase est attribuée à Sitting Bull, mais elle est peut-être plus ancienne, me dit l'artiste de 28 ans. Il disait: "Quand vous aurez coupé tous les arbres, quand vous aurez pollué toutes les rivières et tué tous les animaux, peut-être comprendrez-vous que l'argent ne se mange pas." C'est un vieux proverbe autochtone, qui m'a marqué il y a déjà plusieurs années.»

Cette phrase, il l'avait toujours en tête lorsqu'il a été informé des dangers du Plan Nord du gouvernement Charest. «Je me suis dit qu'on était rendus là, à tout saccager. Le texte est sorti tout seul, en trois nuits. Inspiré à la fois par la musique de DJ Horg (son collaborateur Félix-Antoine Leroux) et cette citation de Sitting Bull, qui reste tellement d'actualité.»

La nouvelle chanson de Samian a été lancée au moment même où l'on apprenait que l'exploitation de la première mine de diamants québécoise, dans le cadre du Plan Nord, se ferait sans la transformation au Québec des diamants bruts, contrairement à un engagement pris par le gouvernement Charest. Et malgré des centaines de millions consentis par Québec à une entreprise étrangère, Stornoway Diamond Corporation, qui se contentera d'exporter tout ce minerai.

«Je trouve que ces décisions se prennent de manière dictatoriale. La démocratie fout le camp un peu quand on voit par exemple le gouvernement refuser de négocier avec les étudiants. Quand on parle du Plan Nord, on ne nous parle pas des Premières Nations. On nous dit que les autochtones sont tous d'accord. C'est pas vrai. On ne me fera pas avaler ça.»

Plan Nord est une chanson engagée. Avec les qualités et les défauts des chansons chargées politiquement. Mieux vaut transmettre un message par le rap que de s'en servir pour faire du «bling bling» futile et superficiel, croit avec raison Samian. Il reste que la poésie et le pamphlet politique ne se marient pas toujours bien.

Le rappeur n'y va pas par quatre chemins. Son texte parfois lourd de sens, privilégie dans sa charge l'artillerie lourde à la subtilité. Cette pièce accrocheuse, à paraître sur un troisième album éventuel du rappeur (dont la date n'a pas encore été fixée), serait-elle la Libérez-nous des libéraux de Samian?

«Je ne crois pas, même si les Loco sont mes amis, dit-il. Je ne cherche pas à être engagé. J'écris du coeur. J'ai appris que j'étais un artiste engagé après les critiques de mon premier album. Le message politique s'impose de lui-même. Je ne prétends pas changer le monde avec une chanson. Je partage mon point de vue.»

Le rappeur, lauréat du Félix du meilleur album hip-hop au dernier gala de l'ADISQ, revenait hier d'une tournée de neuf jours dans le Nord, où il a donné des spectacles et des conférences, et participé à des ateliers dans des écoles. «Les jeunes des communautés ne savent rien du Plan Nord. Je leur récite mon texte a capella, pour leur dire un peu ce qu'il en est.»

Ce n'est pas d'hier que Samian a décidé de prêter sa voix à ceux qui n'en ont pas. «Je représente mon peuple à travers l'art», dit-il sur Plan Nord qui se termine par ces vers: «Le Plan Nord repose sur une génération/Je m'y oppose au nom de toute la nation!»

«Si, parce que j'ai une visibilité médiatique, je peux faire en sorte que d'autres autochtones prennent la parole, tant mieux, dit-il. On se sent laissé pour compte comme peuple. On ne se sent pas concerné. C'est pour ça qu'on ne vote pas beaucoup. Je suis conscient que tous ne sont pas d'accord avec moi dans la communauté. Mais si je peux faire en sorte qu'on s'intéresse à ce qu'on veut faire de nos terres, j'aurai atteint mon objectif.»

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