Je déteste l'envie.

C'est sûrement le pire de tous les péchés capitaux.

L'avarice et l'orgueil ne sont pas loin derrière, soit, mais regardez le reste: la gourmandise n'est pas mal du tout, en fait, pour dire vrai, j'adore la gourmandise. La colère, de son côté, peut être sympa, même si elle n'est pas toujours élégante. La paresse a sa raison d'être... La luxure a quelque chose de printanier.

Mais l'envie? Pensez-y. C'est nul, l'envie.

 

L'envie de vouloir être plus riche que son voisin, d'avoir moins de rides que la collègue, d'avoir une plus grosse voiture, de voyager plus loin... L'envie de courir plus vite vers rien?

L'envie n'est pas un péché, c'est une société à la dérive.

J'entends certains dire qu'elle motive, qu'elle pousse vers le mieux, qu'elle extrait de nous l'énergie de découvrir. Peut-être, parfois.

Mais c'est aussi une dangereuse ensorceleuse. Surtout ici, en Occident, surtout maintenant.

Surtout quand elle prend la forme d'une affiche publicitaire, d'une limousine, d'un improbable récit chromé nous attendant à l'entrée de Los Angeles, de Manhattan, de Tokyo ou de Paris, attisant le désir de mieux étinceler.

«Avec de l'argent, on ne peut pas acheter la paix intérieure», pouvait-on lire récemment sur la page Twitter du dalaï-lama. (Oui, le dalaï-lama a une adresse sur ce réseau social, et ce n'est pas un canular.)

Il aurait pu dire aussi qu'envier les autres, désirer, vouloir, acheter ne veut pas dire qu'on sera rempli de cette paix qui nous calme comme un verre de lait avec des biscuits, le soir, quand la lumière douce se mêle de nous attendrir et de nous soulager. Il aurait fait moins curé, moins éternité. Mais sur le fond, ciel! Il a trop raison. La paix intérieure, wow...

«Pourquoi les Danois sont-ils heureux?» ai-je demandé, il y a quelques années, à une chanteuse de jazz. Il faut dire que ses compatriotes, année après année, disent à tous les sondeurs et sociologues du monde entier, peu importe la recherche, qu'ils sont heureux. Sur la planète, ce sont les seuls, comme ça, qui semblent contents. Comme dans contentés.

«Pourquoi sommes-nous heureux? m'a répondu la belle Cecilie Norby. Mais parce que nous n'avons aucune raison de ne pas l'être.»

L'envie, c'est donc ça: trouver des raisons de ne pas être heureux. C'est chercher par-dessus l'épaule du voisin l'excuse de vouloir être ailleurs ou, pire, avoir autre chose.

Les Danois, ces chanceux, grandissent dans une société égalitaire qui trouve de fort mauvais goût qu'on étale devant les autres ce qu'ils n'ont pas. Une société qui se dit aussi que suffire est un verbe noble. Et qui se dit qu'on peut parfois s'arrêter et ne plus chercher avidement des instants éphémères de plénitude vide en enviant ceux des autres, pour admirer plutôt le moment qui passe devant soi, chez soi, avec ce qu'il charrie de bon.

L'envie n'est pas un péché, c'est une cécité.